La question qu'il ne faut pas poser (Un peu de sel s'il vous plaît, n° 28)
La question qu'il ne faut pas poser
Ce samedi 24 décembre, Pierre Manent est l'invité du Grand Face-à-face sur France-Inter. Pierre Manent est philosophe, historien, Directeur des études honoraire à l'EHESS. Il vient de publier un livre remarquable intitulé Pascal et la proposition chrétienne(Grasset). Thème de l'émission : Avons-nous besoin de sacré ? ou plutôt : Qu'est devenu le sacré dans notre époque, dans nos vies aujourd'hui ?
Ali Baddou : Le profane n'a-t-il pas gagné aujourd'hui ? Quelle est l'actualité ou l'urgence de la proposition chrétienne ?
Pierre Manent :Il y a d'abord l'urgence générale de la question de Dieu. Si Dieu existe ou s'il n'existe pas, ça fait une énorme différence dans la vie humaine. Si ça fait une énorme différence dans la vie humaine, il faut essayer de savoir ce qu'il en est !
Ali Baddou :C'est le Pari de Pascal...
P. Manent :C'est le Pari de Pascal (« Il vaut mieux parier que Dieu existe ») et c'est la question que dans beaucoup de sociétés les hommes se posent. En tout cas, il faut choisir un des deux termes de l'alternative. Or, aujourd'hui, cette question est évacuée comme la question par excellence qu'il ne faut pas poser. C'est LA question qu'il ne faut pas poser. Parce que si vous posez la question, pense-t-on, ça va être la guerre civile, on ne va pas pouvoir s'entendre... Alors, ceux qui ont des idées religieuses, gardez-les pour vous et qu'elles ne montrent pas le bout de la corde dans l'espace public.
Les hommes ont toujours eu de la peine à dégager du temps pour les grandes questions ; ils ont d'autres urgences vitales. Mais aujourd'hui, ce n'est pas seulement la paresse humaine générale pour poser les grandes questions, c'est aussi une sorte d'interdiction publique. Certes, ce n'est pas inscrit dans la loi, mais une certaine interprétation de la loi de laïcité conduit à imposer le silence sur ces questions. Vous avez le droit de prier comme vous voulez dans votre chambre ou dans votre édifice religieux, à condition qu'on ne l'entende pas dans l'espace public car alors la dispute immaîtrisable va s'imposer...
Ensuite, l'échange porte sur la laïcité, sur les Lumières, les guerres de religions, la culture, la baisse de la fréquentation religieuse, l'enseignement du fait religieux, l'Eglise, la République, la morale, la foi en l'Homme, les droits individuels devenus le nouveau 'sacré', les évolutions sociales, le droit de vote, le mariage pour tous, la PMA...
A la toute fin de l'émission, Pierre Manent conclue : Quelles que soient les évolutions sociales, cela ne change absolument rien à la question première, qui est la question dont nous sommes partis (mais que nous avons vite oubliée, je vous le fais remarquer), qui est la question : Dieu ou pas Dieu ? Et si Dieu, quel Dieu ? Cette question, l'évolution des mœurs n'y touche absolument pas. La proposition chrétienne, c'est que Dieu est la grande chose vers laquelle les hommes doivent se tourner, ajoutant qu'ils sont libres de le faire ou de ne pas le faire. La religion chrétienne accorde une place unique à ce mouvement de l'âme qu'est la conversion. Il fallait le dire.
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