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Le blog de Charles Nicolas
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  • Dans une société déchristianisée où les mots perdent leur sens, où l'amour et la vérité s'étiolent, où même les prédicateurs doutent de ce qu'ils doivent annoncer, ce blog propose des textes nourris de réflexion biblique et pastorale.
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10 avril 2024

La Réflexion éthique et la loi sur la fin de vie (1)

 

I. La réflexion éthique et la loi sur la fin de vie

 

1. Quelles références, quelles valeurs ?

 

Le propre d'une réflexion éthique, c'est qu'elle est délicate. Sinon, il suffit de se référer à la loi. C'est la raison pour laquelle, dans les comités de réflexion éthique qui se sont créés ces dernières années un peu partout, on parle d'élaboration éthique. Généralement, on fait intervenir un légiste qui rappelle la loi ; puis la parole circule et personne ne conclut. Un médecin confronté à une situation difficile pourra consulter le comité qui formulera un ou des avis, sans trancher.

 

Deux raisons expliquent l'émergence de ces questionnements :

- Une de ces raisons est technique : est-ce que parce qu'on peut techniquement faire quelque chose, on doit nécessairement le faire ? Cela vaut pour les naissances et pour la fin de vie particulièrement mais aussi dans de nombreuses autres circonstances1. On peut techniquement faire l'ablation de l'estomac, de l'intestin, d'un poumon et d'un rein à une personne de 95 ans. Pour autant, faut-il le faire ? On voit que ce n'est pas simple, car d'autres considérations devront entrer en ligne de compte et être évaluées2. Dans son livre Le Bluff technologique3, Jacques Ellul écrit que la technique aide jusqu'à un certain point ; après, elle complique !

- L'autre raison est liée à la sécularisation, c'est-à-dire la perte des références chrétiennes dans la vision du monde4. Or – Jacques Ellul a beaucoup réfléchi à cela dès les années 505 – notre époque est marquée à la fois par des progrès considérables en matière de technologie et par une progressive et assez radicale mise à l'écart des références chrétiennes6. D'où l'émergence de situations nouvelles, difficiles à gérer.

Par exemple, dans le comité de réflexion éthique de l'hôpital où j'ai exercé mon ministère, quelqu'un a posé un jour la question de la différence entre un être humain et un animal7. C'est le fruit de ce qu'on appelle la cancel culture, ou culture de l'effacement, qui entend mettre hors-jeu les références de pensée qui ont prévalu jusqu'à maintenant8. Il est assez évident que les choix éthiques ne seront alors pas comparables à ceux du croyant qui désire plaire à Dieu (1 Th 4.1)9.

 

2. Bref état des lieux de la réflexion en France

 

Pour le moment, en France, deux pratiques sont interdites : l'euthanasie et le suicide assisté. Mais les sondages disent que 70 % des personnes interrogées sont favorables à une évolution de la loi. (Comment pose-t-on la question ?)

La loi n'interdit pas tout, cependant. Depuis 1999, mourir sans souffrir est un droit10. Dès lors, on a vu un développement assez important des Soins palliatifs11. Cependant, 1/3 seulement des patients qui en auraient besoin y ont accès.

Depuis la loi Léonetti en 2005, tout patient est invité à remplir un formulaire de directives anticipées12 et à désigner une personne de confiance qui sera le vis-à-vis de l'équipe soignante si le patient n'est plus en mesure de s'exprimer. Tout patient peut, à tout moment, signer une décharge pour refuser un traitement, une intervention. Enfin, depuis la loi Claeys-Léonetti (en 2016), tout patient peut, quelques jours avant la mort annoncée, demander une sédation profonde et continue (qui ressemble à une sorte de coma).

 

Quatre questions demeurent cependant, aux yeux des partisans du 'suicide assisté' et des membres de l'ADMD13 :

- chacun peut interpréter ces lois un peu comme il veut ;

- certaines situations échappent au soulagement qu'apporte la sédation profonde ;

- une certaine souffrance existera encore pendant ces quelques jours (difficile à évaluer) 

- le suicide assisté, bien qu'interdit, est cependant pratiqué par certaines équipes (il y a donc inégalité) et ceux qui en ont les moyens peuvent aller en Belgique ou en Suisse.

Le 8 janvier, lors de ses vœux aux responsables des cultes, le président Macron a annoncé non pas une mais deux lois distinctes. Comment, en effet, dans une même loi, plaider pour le développement des Soins palliatifs et pour la légalisation du suicide assisté ? Il y aura donc sans doute deux lois distinctes, ce qu'ont demandé un certain nombre de députés :

- les soins palliatifs seront développés : ils prennent en charge la souffrance physique, psychique, sociale et spirituelle (dans un sens non religieux).

- l'aide à mourir sera proposée aux personnes majeures dont le pronostic vital est engagé à “moyen terme” (c'était “à court terme” dans la loi Claeys-Léonetti), ayant des souffrances physiques “insupportables” (autre terme difficile à évaluer) et une volonté “libre et éclairée” au moment de la demande. La prescription nécessitera une “décision médicale collégiale”. Si la personne ne peut pas s'exprimer, l'intervention d'un tiers sera possible.

 

3. Une vraie solution ?

 

De l'avis de beaucoup, l'aide à mourir va créer autant (ou plus ?) de situations délicates qu'elle va en solutionner. A l'hôpital, une personne peut tout à fait désirer mourir à un moment et désirer vivre un peu plus tard. On appelle cela l'ambivalence du désir. J'ai accompagné une personne en fin de vie, consciente, qui disait le matin au médecin qu'elle désirait en finir et à son épouse l'après-midi qu'elle désirait vivre encore. Elle a finalement 'bénéficié' d'une sédation profonde irréversible. Mais... comment sera vécu l'après, par ses proches ?

La Ministre Agnès Firmin-Le Bodo expliquait que “l'accès à l'aide à mourir est le continuum d'un accompagnement curatif et palliatif jusqu'à la mort”. C'est là que se situe le désaccord. Le site Généthique (février 2023) propose un article intitulé : Donner la mort peut-il être considéré comme un soin ? On y lit que 800.000 soignants s'opposent à l'euthanasie. Mais peu avant, Le Monde publiait un article dans lequel 500 professionnels de Santé se déclarent favorables à l'euthanasie (500 dont 320 sont aujourd'hui à la retraite...). Comme pour d'autres sujets, on peut avoir l'impression qu'une minorité de militants entendent peser davantage qu'une majorité de personnes. Je pense à un article de Claire Fourcade, présidente de la SFAP14 : Je suis médecin, la mort n'est pas mon métier. La main qui soigne ne peut pas être la main qui tue.

Il est à noter que les responsables religieux (catholiques, protestants, musulmans...) sont (presque) unanimement opposés à l'euthanasie et au suicidé assisté. Avec les Soins palliatifs, ils constatent que quand une personne est correctement accompagnée et soignée, les demandes d'euthanasie disparaissent presque totalement.

Un homme de 65 ans apprend qu'il est atteint d'une maladie incurable et dégénérative. Au bout de quelques jours, il confie à une infirmière son désir d'une euthanasie : Je ne peux accepter de devenir dépendant, dit-il. Réponse de l'infirmière : Nous sommes tous dépendants ! Réponse inspirée.

 

La pensée progressiste, cependant, ne l'entend pas de cette oreille. A l'Assemblée nationale (avril 2021), le député Olivier Falorni (PRG) défend son projet de loi pour l'euthanasie en parlant de conquérir l'ultime liberté. Jean-Louis Touraine (PS) renchérit : De la même façon que les femmes ont décidé de poursuivre ou non leur grossesse, les malades doivent pouvoir mettre un terme ou non à leur agonie ». Jean-Luc Mélenchon (LFI) conclura : L’être humain est auteur de son histoire. Chaque pas qui rend une personne plus maîtresse d’elle-même la fait avancer en humanité, même si c’est cruel d’éteindre la lumière. La liberté c’est se posséder soi-même, c’est être créateur de soi.

Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, s’exprime sur le projet de loi sur la fin de vie annoncé par le Président de la République (juin 2023) : Un sujet profondément intime mais avec des conséquences sociétales tout aussi profondes. Il faut être très vigilant au signal que nous envoyons aux personnes qui se sentent fragiles ou désespérées et à leurs familles15.

Un des risques est – en outrepassant la limite de nos droits et de nos devoirs – d'ajouter des fardeaux supplémentaires en voulant soulager. Certains ont l'impression que ce n'est pas le souci que l'on a pour le patient qui prime, mais plutôt le confort des soignants, ou de la famille... Il peut arriver que chez le patient, la demande soit motivée par le désir de soulager ses proches.

______________

 

Une phrase, pour conclure ces notes de manière lapidaire, avec une formule chère aux équipes de Soins palliatifs : Ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie : soulager, mais pas tuer

(A suivre)

_______________

 

Notes :

1Par exemple acheter 100 kg de chocolat parce que j'en ai les moyens, téléphoner 12 h. par jour parce que j'ai un forfait illimité ou rouler à 180 km/h parce que j'ai une voiture puissante...

2Par exemple, en Angleterre on a pris en compte le coût d'une intervention pour les patients de plus de 75 ans.

3J'ai réalisé un abrégé en 6 pages de ce livre de 750 pages dont je recommande la lecture.

4Voir en annexe 1, la question du désir et du refus de la mort.

Les annexes seront publiés dans la 2ème partie

5J'ai réalisé un abrégé en 3 pages du livre de Jacques Ellul, Les nouveaux possédés (348 pages) sur ce sujet.

6Voir l'annexe 2 : Le mythe de la bonne mort.

7On dit 'les animaux non humains', aujourd'hui, pour atténuer la différence.

8Dans son livre La Religion woke, (Grasset, 2022). Jean-François Braunstein mentionne Donna Haraway, professeur d'Université et militante de la pensée woke aux Etats-Unis : son aspiration est que l'humanité devienne du compost. Figurez-vous qu'elle dit cela avec un grand sourire. J'ai un abrégé de ce livre également.

9On parle de la baisse de natalité aujourd'hui. On vient d'interroger une jeune femme chinoise à ce sujet : Je ne veux pas d'enfant ; je n'ai pas d'énergie pour cela. Je veux profiter de la vie, c'est tout (France-Inter, 13 h., ce 17 janv. 2024).

10Un jour il y aura peut-être un droit opposable à vivre sans souffrir...

11On doit ce concept à une infirmière anglaise, chrétienne, Cicely Saunders (1918-2005).

13Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité. Voir en annexe 3 une réaction à un article de l'ADMD.

14Société Française d'Accompagnement et de soins Palliatifs.

15Voir l'annexe 4. Attention aux personnes vulnérables.

_________________

 

 

 

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Commentaires
P
Merci Charles pour avoir le courage de mettre en lumière certaines pratiques qui peuvent passer sous silence et parfois être banalisées ou sembler "normales".<br /> J'ai connu les soins palliatifs dans les années 90, j'ai quitté la France 10 ans et à mon retour, j'ai vu un grand changement de pratiques dans ce domaine.<br /> Je voudrais juste donner une expérience que j'ai vécu en 1998 : "Une femme avait un cancer des poumons. Il lui restait juste un tiers d'un poumon pour respirer. Ne pouvant plus supporter la sensation d'étouffer, elle a demandé au médecin un médicament pour ne plus sentir cette angoisse de chercher sa respiration. Il lui a dit qu'il pouvait la soulager mais que le médicament la ferait dormir. Elle a donc accepté. Elle est restée deux à trois semaines ainsi sans manger, seule une perfusion l'hydratait. Un jour, nous avons appris que son fils qui habitait à l'étranger et qu'elle n'avait pas vu depuis très longtemps, venait la voir. Je suis allée le lui dire. Elle s'est réveillée subitement en criant qu'on voulait la tuer. Elle a arrachée la perfusion puis s'est remise à manger. Elle a attendu son fils sans être affectée par le peu d'air qui circulait dans son poumon. Elle avait un anxiolytique très peu dosé pour seul traitement. Après avoir vu son fils, elle a pu s'éteindre en douceur et en paix... "
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