La solitude dans l'Eglise (3)
1. Impossible d'être seuls !
Si je n'avais que 3 minutes pour parler du problème de la solitude, je recommanderais simplement de lire le Ps 139 tous les matins en se levant. (Le Ps 23 n'est pas mal non plus).
Pour celui ou celle qui se sent seul dans sa maison ? Eternel, tu me sondes et tu me connais, tu sais quand je m'assieds et quand je me lève ; tu sais quand je marche et quand je me couche.
Pour celui ou celle qui se sent seul dans ce vaste monde ? Où irais-je loin de ton Esprit, et où fuirais-je loin de ta face ? Si je prends les ailes de l'aurore et que j'aille habiter à l'extrémité de la mer, là aussi ta main me conduira.
Pour l'embryon qui se sent seul dans le ventre de sa mère... Quand je n'étais qu'une masse informe, tes yeux me voyaient et sur ton livre étaient tous inscrits les jours qui m'étaient destinés avant qu'aucun d'eux n'existât.
Et pour celui ou celle qui sent sa mort proche... Si je monte aux cieux, tu y es ; si je me couche au séjour des morts, là aussi ta main me conduira et ta droite me saisira.
Impossible d'être seul pour un chrétien, quand bien même il le voudrait !
Quelqu'un dira peut-être : C'est facile d'aligner des versets comme cela ! Ces versets n'existent pas pour faire joli ! Ils existent pour nous servir de témoignage : d'autres ont vécu cela, et le savoir nous laisse moins seuls ! Et si nous prenons ces textes au sérieux, ce qu'ils décrivent peut dessiner un paysage devant nos yeux : une réalité porteuse de lumière sur notre âme, qui peut transformer notre ressenti.
Je ne vais pas dire que cela dans mon message, mais cela, il faut le dire : être adulte, c'est accepter d'être seul sans se sentir seul – sans se sentir abandonné.
Quand, à la fin du Psaume 23, David dit : J'habiterai dans la maison de l'Eternel tous les jours de ma vie (ou : jusqu'à la fin de mes jours), il ne parle pas que de la présence de Dieu : il évoque aussi la présence de ses frères et sœurs dans la foi. Il dit : Je ne suis jamais sans mes frères et sœurs dans la foi, même quand je suis seul.
En d'autres termes, la réalité de la communion n'est pas intermittente, elle est continue !
2. Le repas du Seigneur
Le repas du Seigneur dit cela. Et je pense que vous serez d'accord si je dis que ce repas exprime en même temps notre faiblesse et notre force, ce que nous avons déjà et ce qui nous manque encore. Je ne mangerai plus ce repas avec vous, dit Jésus (Lc 22.16). N'est-ce pas notre solitude ? Avec une communion dès maintenant, et une promesse.
Après avoir dit qu'il était impossible à un chrétien d'être seul (même s'il le voulait), je dirai que le sentiment de solitude est inévitable : à certains moments pour certains, plus souvent – voire très souvent – pour d'autres.
* La question personnelle est : Est-ce que je le vis comme un orphelin/une orpheline, ou est-ce que je le vis comme un fils/une fille de Dieu, comme un adulte dans la foi ?
* La question pour l'assemblée est : Que devons-nous à ces personnes en particulier ?
La cène est un engagement de communion. Cela signifie que je pose ma signature au bas d'un texte qui est également signé par le Seigneur et par mes frères et sœurs. La notion d'alliance permet de parler en ces termes : Où que je sois, dès maintenant, je ne suis jamais sans mon Sauveur, ni sans mes frères et sœurs dans la foi. Est-ce tout ?
Non. Aussi importants que soit la prédication, l'étude biblique, la réunion de prière ou le repas du Seigneur, ils ne remplacent pas les moments de communion vécus en dehors des réunions, notamment dans les maisons, et pas seulement entre amis. Il y a des chrétiens chez qui personne ne va pour faire une visite fraternelle ; et il y a des chrétiens qui ne mangent jamais à la table de quelqu'un d'autre...
3. Les maisons
La réalité de l'alliance demande qu'on dise un mot sur les maisons. Souvenons-nous que la première Pâque a eu lieu dans les maisons, en Egypte.
Quand on fait des visites à l'hôpital, le désir principal qui s'exprime n'est pas de guérir, c'est de rentrer à la maison. La maison, la Bible permet de le dire, est également un lieu de toute première importance aux yeux de Dieu. Le Dieu de la Bible est un Dieu des maisons avant d'être un Dieu des temples ou des salles de culte.
Tout le monde a une maison. Les célibataires, les veufs et les veuves, les personnes divorcées aussi. Bien sûr, le vécu n'est pas identique, mais dans tous les cas, la maison – grande ou petite – est le lieu numéro 1 de la vie chrétienne.
Pour la prière évidemment : Prie ton Père qui est là dans le lieu secret (Mt 6.6). On pourrait ajouter pour le chant des cantiques, pour la lecture de la Bible, je ne vous apprends rien. Lire la Bible tout seul, c'est être en compagnie des centaines de milliers qui ont lu ces mêmes passages avant moi. La maison est donc le premier lieu pour écouter ce que Dieu veut me dire, pour apprendre à le mettre en pratique, et pour remporter des victoires (que je sois seul ou en famille, en un sens, cela ne change rien).
Maintenant, je dois ajouter ceci : manger seul devant son assiette tous les jours, ce n'est pas la fin du monde ; mais ce n'est pas pareil que d'être deux, ou trois, ou plus. Et si nous ne devons pas convoiter la situation des autres, nous n'y sommes pas indifférents !
La communion est une réalité sensible : un rien la réjouit, un rien l'attriste ; comme l'Esprit. Si la coupe est fissurée, elle aura du mal à déborder.
La maison, qu'elle soit grande ou petite, riche ou pauvre, c'est le lieu privilégié pour recevoir des visites et pour aller visiter. Franchir le seuil d'une maison n'est jamais banal. En un sens, c'est faire en plus petit ce que Jésus a fait en venant sur la terre.
4. L'assistance destinée aux saints
Parmi les implications du repas du Seigneur, il y a aussi l'assistance destinée aux saints (2 Co 9.1). Les saints, c'est qui ? Ce sont les chrétiens. Tous ! Cette assistance ne concerne-t-elle que la nourriture ? Pas du tout !
Quand Jacques écrit : Si un frère ou une sœur manquent de la nourriture de chaque jour, ou sont nus... (2.15), il nous rend sensible à des besoins qui peuvent être très divers. Quelqu'un dira peut-être qu'un évier bouché ou une porte qui ferme mal, ce n'est rien. Ce n'est rien si on va bien et si on a une caisse à outils, mais ce n'est pas le cas de tous !
Là, il est important de placer les limites au bon endroit. Une personne seule ne peut pas exiger que quelqu'un vienne passer une heure avec elle tous les jours. Et s'il le fallait, cela suppose une organisation qui relève du ministère des diacres, en lien avec les anciens. L'apôtre Paul dit cela : Il ne s'agit pas de vous exposer à la détresse pour soulager les autres, mais de suivre une règle d'égalité : dans la circonstance présente, votre superflu pourvoira à leurs besoins (2 Co 8.13-14).
Dans une église en bonne santé, personne ne devrait se sentir surchargé et personne ne devrait se sentir inutile ou abandonné. Les dons de la grâce sont normalement répartis dans ce but. Et Dieu ne se trompe pas !
* Frère et sœurs, si un chrétien gémit tout seul dans sa maison, même si personne ne le sait, toute l'église souffre.
* Il y a autre chose : le bien que je fais à un chrétien ou une chrétienne, c'est à Christ que je le fais. La parabole de Matthieu 25 le dit clairement. C'est beaucoup plus grand qu'il n'y paraît. Et c'est Christ qui le fait à travers moi.
Le secours de cette assistance, dit Paul, non seulement pourvoit aux besoins des saints, mais il est encore une source abondante de nombreuses actions de grâces envers Dieu ! (2 Co 9.12).
Même si c'est fait en secret, cela signifie de la joie dans le ciel !
Ch.N.
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Annexes
1. Orphelins ou fils ?
Je ne vous laisserai pas orphelins, dit Jésus à ses disciples (Jn 14.18). Un orphelin est un enfant dont les parents sont morts. Beaucoup de chrétiens vivent comme des orphelins.
Les orphelins se sentent toujours seuls ; les fils et les filles jamais !
Les orphelins obéissent par crainte, par calcul ; les fils et les filles par amour !
Les orphelins sont perfectionnistes ; les fils et les filles sont dans le repos !
Les orphelins redoutent les échecs ; les fils et les filles sont confiants !
Les orphelins veulent plaire aux hommes ; les fils et les filles veulent plaire à Dieu !
Les orphelins doutent toujours de l'amour ; les fils et les filles en sont certains !
Les orphelins s'inquiètent pour eux ; les fils et les filles aident les autres !
Les orphelins se vantent ; les fils et les filles sont reconnaissants !
Les orphelins peinent dans la prière ; les fils et les filles prient avec spontanéité !
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2. La niche sensorielle
Dans son livre : La nuit, j'écrirai des soleils (Odile Jacob, 2020), le neuropsychiatre Boris Cyrulnik explique que pour se développer, l'enfant a besoin d'un environnement favorable, rassurant, qu'il appelle la niche sensorielle.
Dans nos sociétés occidentales, cette niche est finalement très restreinte, avec les deux parents et les enfants. Si un des deux parents vient à manquer, la carence est presque inévitable.
Dans les cultures asiatiques ou africaines, la niche sensorielle est plus étendue, comprenant les oncles et tantes et parfois une partie de la tribu. Qu'un des parents vienne à manquer, la carence sera beaucoup moins douloureusement ressentie.
Le fait que les parents de Jésus aient marché toute une journée avant de s'apercevoir que leur enfant de 12 ans n'était pas avec eux semble montrer qu'au Proche-Orient, la 'niche sensorielle' était aussi assez large. Cela n'empêche pas de lire que Jésus était soumis à ses deux parents (Lc 2.51).
Cette observation va dans le sens de ce que j'ai appelé une parentalité partagée : dans la communauté (ecclésiale), tout homme a une certaine vocation paternelle, même s'il n'est pas père, et toute femme a une certaine vocation maternelle, même si elle n'est pas mère. Cela doit constituer un soutien pour les parents seuls.
Il est évident que, dans cette perspective, la communauté chrétienne constitue une précieuse niche sensorielle.
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3. Exercez l'hospitalité !
Exercez l'hospitalité ! écrivent les apôtres (Ro 12.13 ; Hé 13.2 ; 1 Pi 4.9). Ils se situent dans le cadre de la communauté chrétienne – comme d'ailleurs quand ils parlent des pauvres, des veuves et des orphelins. Attention, la communauté chrétienne, ce n'est pas seulement les amis au sein de l'Eglise ! Il se peut que dans les églises certains soient souvent invités et d'autres rarement ou même jamais.
Ayant dit cela, ouvrons aussi nos maisons aux non-chrétiens quand l'occasion se présente. Surprenons les gens en les invitant pour un repas. Apprenons à faire des repas très simples pour inviter plus souvent. Une fois par semaine ce serait bien, si possible !
Il y a des personnes qui ne franchissent jamais le seuil d'une autre maison que la leur. Il y a des personnes qui n'ont pas mangé à une table de 3, 4 ou 5 personnes depuis des années. Il y a des personnes âgées qui ne rencontrent que des personnes âgées, etc. Nous pouvons renverser ces cloisons.
Nos maisons sont devenues des lieux de refuge. Ce n'est pas tout à fait anormal. Elles doivent devenir aussi des lieux d'hospitalité, des lieux où on s'écoute vraiment. Quand je t'écoute, je te dis que tu existes. L'écoute est un soin. Celui qui est vraiment écouté n'est plus seul ! Si les maisons sont hospitalières, l'Eglise le sera aussi. Il y a des personnes qui pensent que quand on a un problème, on doit aller dans une église. Allons plutôt dans une maison ! Et les célibataires ? Ils ont bien une maison, généralement. Ils peuvent donc inviter eux aussi ! La porte d'entrée de l'Eglise, ce sont nos maisons.
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4. Les personnes âgées sont-elles hors communion ?
Voir l'article : http://pasteurchnicolas.canalblog.com/archives/2020/12/18/38684825.html
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5. La cène et la vie fraternelle
La cène est un repas de commémoration, d'annonce et de communion. On pourrait ajouter : de consécration. Il y a à cela de nombreuses incidences. Se réconcilier avec son frère avant d'apporter son offrande (Mt 5.23-25). Veiller les uns sur les autres : si ton frère a péché... (Mt 18.15. Cf. 7.5). S'accueillir dans les maisons : Exercez l'hospitalité... (1 Pi 4.9). Ce qui comprend l'assistance fraternelle : Si un frère manque de nourriture... (Jc 2.15 ; 1 Jn 3.17). Si nous ne voyons pas ce qui ne va pas à ce niveau, le Seigneur le voit. La communion est une réalité sensible : un rien la réjouit, un rien l'attriste, comme l'Esprit. Si la coupe est fissurée, elle aura du mal à déborder.
Je crois que toute la vie chrétienne, toute la vie de l'Eglise, toute l'action pastorale et diaconale peuvent se construire autour de la cène, en préparation et en prolongement de celle-ci. La dimension du sacrifice, comme l'Evangile lui-même, est une folie pour ceux qui périssent, mais une puissance pour ceux qui croient (1 Co 1.18).
Voulons-nous vivre et voir la dimension du Royaume de Dieu dans l'Eglise ? Comprenons alors que la relation qui va exister entre nous ne peut pas être comparée à celle qui existe entre les hommes en général. Elle sera marquée par l'aptitude au sacrifice qui découle directement de l'Amour de Dieu reçu, et de l'Espérance qu'il nous a acquise. A l'amour que vous aurez les uns pour les autres, tous sauront... Aimez-vous comme je vous ai aimés (Jn 13). Celui qui aime son frère demeure dans la lumière ! (1 Jn 2.10). Comprenons-nous que chacun de ces termes désigne la communauté chrétienne et elle seule ? C'est à cette condition seulement qu'il y aura une démonstration aux yeux de ceux du dehors.
L'Amour chrétien n'est pas un amour sentimental. L'Amour dont nous devons nous aimer les uns les autres est celui de Dieu pour son Fils et celui du Christ pour nous. Pour nous spécifiquement (Jn 15.12 ; 17.23, 26).
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Notes :