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Le blog de Charles Nicolas
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  • Dans une société déchristianisée où les mots perdent leur sens, où l'amour et la vérité s'étiolent, où même les prédicateurs doutent de ce qu'ils doivent annoncer, ce blog propose des textes nourris de réflexion biblique et pastorale.
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13 avril 2022

Vivre l'intériorité dans un monde horizontal (3)

 

III. A l'épreuve des deuils

 

1. Le refus du deuil

Un des passages les plus bouleversants des Evangiles, à mes yeux, se trouve au début de l'Evangile de Matthieu, après le massacre des enfants par les soldats d'Hérode : ''Alors s'accomplit ce qui avait été annoncé par Jérémie, le prophète : On a entendu des cris à Rama, des pleurs et de grandes lamentations : Rachel pleure ses enfants et n'a pas voulu être consolée, parce qu'ils ne sont plus'' (Mt 2.17-18). J'appelle cela 'le refus du deuil'. Le texte ne dit pas que Rachel a eu raison de refuser d'être consolée ; il dit que ce fut ainsi, pour un temps au moins. Rachel a contemplé ce qui n'était plus...

L'histoire du peuple d'Israël commence avec une séparation, un départ sans retour : ''L'Eternel dit à Abram : Va, quitte ton pays...'' (Gn 12.1). La Bible ne parle pas des sentiments qui ont habité le cœur d'Abram au moment de ce départ ; ni lors de l'épisode du sacrifice d'Isaac, d'ailleurs. Le regard fixé sur la promesse, Abram a contemplé ce qui n'était pas encore (Jn 8.56 ; Ro 4.18 ; Hé 11.8)... Il a fixé des yeux la promesse.

________________

Un deuil débute quand une circonstance survient qui marque la fin d'une étape de manière irréversible. Evidemment, cela parle de la mort et de son « jamais plus ». Mais il n'y a pas que la mort qui produit des situations irréversibles. Nous sommes tous en train de vivre un certain travail de deuil (de quelque chose ou de quelqu'un).

''Tout change, tout est dans l'impermanence, écrit Anne Ancelin Schützenberger1. Dès le premier instant de séparation d'avec la mère, la vie n'est plus faite que d'arrachements successifs, de deuils, de pertes, de renoncements, de lâcher-prise... La perte d'un proche, d'un lieu de vie (déménagement, exil), de ses biens, d'un organe et même d'un animal familier...''. Cf. les troubles lors des changements de saison...

La capacité à assumer les ruptures peut varier grandement selon les personnes, selon les moments également. Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik2 a appliqué aux personnesle principe de résilience qui désigneoriginellement la résistance d'un matériau aux chocs, le « fait de rebondir », du latin resiliens.

Freud a parlé de l'ambivalence entre le sentiment que la mort est déjà inscrite dans notre psychisme et l'impossibilité à se la représenter, avec ce qu'on appelle 'le déni'. Jérôme Alric3 écrit : ''Nous pouvons tous parler de notre propre mort, mais au-delà de cette acceptation intellectuelle de la finitude, il est un niveau Autre, inconscient, pour lequel une part du psychisme se refuse à mourir... Notre propre mort n'est pas pensable. Cela revient à promouvoir la dimension du mystère comme ce qui fonde spécifiquement l'humain''. Entendre un médecin parler de mystère, ce n'est pas fréquent.

Les médecins utilisent le mot sidérationpour décrire l'état dans lequel se trouve instantanément une personne qui apprend que la mort est au rendez-vous d'une manière probable et relativement proche. Il n'est pas exclu qu'une telle annonce terrasse une personne malade à tel point que cela produise un anéantissement de l'espoir et précipite son décès. D'autres se protégeront par une attitude de déni : « Il doit y avoir erreur, cela ne me concerne pas vraiment ».

''Les réactions au deuil, écrit Anne Ancelin, sont toujours personnelles, diverses, imprévisibles. Certains installent et instaurent le silence, le secret, le non-dit, ou prennent la fuite, parfois jusqu'aux derniers instants de la vie. D'autres vont se lancer dans une hyperactivité pour oublier, ne pas ressentir. D'autres auront recours aux compensations : nourriture, alcool, drogues, tranquillisants, achats compulsifs...'' 4.

A l'hôpital, si je demande à voir une personne et que celle-ci est décédée, je vois la gêne de l'hôtesse d'accueil qui chuchote : Elle est partie... Dans les maisons de retraite, pendant longtemps, on a caché le décès des résidents aux autres résidents...

Avez-vous déjà inscrit dans votre Bible le ou les passages bibliques que vous aimeriez qu'on lise lors de vos obsèques, et les cantiques que vous aimeriez qu'on chante ?

 

2. Mentir ou dire la vérité ?

L'attente est forte vis-à-vis du corps médical pour qu'il dise le vrai... mais dans le sens espéré par le malade'' (Dr J-P Bénézech).

Souvent la personne en deuil n'est pas en mesure d'être confrontée brutalement, directement, à la réalité. On ne doit pas imposer la vérité brute à celui ou celle qui n'est pas en mesure de l'entendre. Si une femme dit qu'elle sent toujours son mari défunt présent à côté d'elle, il n'est sans doute pas utile d'affirmer d'emblée que c'est une erreur.Dieu n'est-il pas patient avec chacun d'entre nous ?

C'est ce que dit Monique de Hadjetlaché au sujet de l'accompagnement d'un enfant confronté à la mort (la sienne ou celle d'un proche). Cela est applicable à tous : “Il est primordial d'avoir une parole vraie, de ne pas partir en catimini en croyant ainsi éviter les pleurs : on engendre une insécurité bien plus grande et on sape la confiance de l'enfant qui ne peut plus faire confiance à la parole de l'adulte, ce qui est lourd de conséquences. Chacun, face à sa propre mort, a droit à la vérité, même les enfants. Cela signifie-t-il qu'il faut asséner la vérité à tout prix ? Je crois qu'il faut toujours répondre, en respectant le rythme de la personne, ce qu'elle est en mesure d'assimiler. Il faut lui laisser le temps de demander et d'apprivoiser la réalité, ne pas imposer”.

Marie Ireland5 parle du “deuil interdit” quand on empêche les enfants de pleurer tandis qu'ils sont tristes.

La personne concernée par sa propre mort sait souvent, bien plus qu'on le pense, quelle est sa situation réelle. Lui tenir un autre langage, c'est mettre fin à la relation vraie. On fera semblant, de part et d'autre, chacun gardant sa peine pour lui. Il est préférable de dire les choses, avec les mots appropriés, progressivement sans doute, mais sans retard. “L'observation a montré que si un enfant en fin de vie voit que son entourage n'est pas prêt, il se taira, écrit M. de Hadjetlaché. Tous ces non-dits se transforment en souffrance absolue, celle de la rupture de relation. Dans de nombreuses pathologies psychiques graves, on retrouve les non-dits majeurs des générations antérieures, souvent des morts dont la présence est partout mais dont on ne parle jamais”.

Le pasteur Dietrich Bonhoeffer affirme qu'on ne doit pas la vérité à ceux qui n'aiment pas la vérité. Cette affirmation étonnante peut retenir notre attention. Jésus ne dit-il pas cela quand il dit de ne pas jeter les perles aux pourceaux ? Quand à l'apôtre Pierre, il semble recommander d'attendre qu'on nous pose des questions (1 Pi 3.15). Discerner le moment favorable, ''saisir l'occasion'' comme le dit Paul (Ep 5.15), c'est sans aucun doute l'attitude sage qui associe la grâce et la responsabilité.

Et si on ne sait pas que répondre ? Mieux vaut dire Je ne sais pas, que mentir. Dire je ne sais pas est une manière de respecter l'autre, de l'aider à devenir adulte

 

3. L'inévitable solitude

*''Quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là, dans le lieu secret''a dit Jésus (Mt 6.6). On pourrait parler longuement de ce paradoxe qui habite chaque être humain, qui consiste à désirer la présence de Dieu et à la fuir en même temps. ''Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre'' (Blaise Pascal).

* ''Il y a un état de profondeur que l'on a uniquement quand on est seul” (Marcel Proust). Cela me renvoie au fils prodigue qui, après avoir tout dépensé, se retrouve seul avec des pourceaux,seul et à jeun. Le dénuement complet, le déshonneur total... C'est là, alors qu'il est 'entré en lui-même', que Dieu peut enfin le rejoindre, le prendre par la main et lui montrer le chemin véritable et vivant (Lc 15.17-24).

La notion de jeûne me renvoie à ce qu'écrit Paul : ''Ne vous privez pas l'un de l'autre si ce n'est d'un commun accord, pour un temps, pour vous attacher à la prière'' (1 Co 7.5). Laisser un bien pour un meilleur. On pourrait en parler longuement.

Je visite une personne malade très affaiblie. Il lui reste peu de jours à vivre. Sa foi s'est affermie dans une intimité de plus en plus grande avec Dieu. Elle confie la difficulté qu'ont ses proches à la comprendre. Elle les aime toujours, mais ses sujets de préoccupation n'ont plus grand chose à voir avec les leurs. Ils parlent de manger, de prendre des forces, de rentrer à la maison ; mais elle a dépassé cela depuis longtemps. Ellen'enaplusenvie. Saperspectiveesttoutautre. En réalité, elle est encore là, mais elle est aussi, déjà, en train de partir. Pendant que nous traînons sur le chemin, accaparés par mille distractions, elle a avancé, avancé, et elle ne sera bientôt plus qu'un point à l'horizon, presque invisible à nos yeux. Ainsi, elle est heureuse des visites qu'elle reçoit, et elle les redoute en même temps. Elle a fait trop de chemin, et eux trop peu. Ils ne parlent plus la même langue.

Devenir adulte, c'est apprendre à être seul. Jésus l'a vécu, qui a passé quarante jours dans le désert, qui s'est souvent retiré à l'écart, sans témoins6.

Le psychiatre Jacques Lacan écrit que ''l'homme, dans ce rapport à lui-même qui est sa propre mort (…) n'a à attendre l'aide de personne”7. Il y a une limite infranchissable dans la relation avec les autres.L'accepter, ce n'est pas renoncer à la relation, c'est la préserver, c'est-à-dire ne pas attendre de l'autre ce que Dieu seul peut me donner.

Je me souviens de l'article d'un médecin qui recommandait de laisser le tout jeune enfant s'occuper seul, à quelque distance de sa maman, pour qu'il se construise intérieurement.

 

4. Le nécessaire recueillement

L'Ecclésiaste : Mieux vaut aller dans une maison de deuil qu'une maison de fête. C'est peut-être mon tempérament qui me fait retenir volontiers cette parole de l'Ecclésiaste (7.2), mais le contexte de ce verset est bien celui de l'approche de la fin de vie.

Le fait d'adhérer à l'activité vitale élimine toute pensée de mort, écrit le sociologue Edgar Morin, et la vie humaine comporte une part énorme d'insouciance à la mort... Dans cette perspective, la participation à la vie simplement vécue implique en elle-même une cécité à la mort...”8. Le docteur J-P. Bénézech9 confirme ce constat : “Dans l'accélération progressive de nos vies “à tombeau ouvert”, le fracassement sur le mur de la mort n'est jamais d'actualité, toujours différé à demain''.

Depuis une vingtaine d'années, certaines églises évangéliques réfléchissent à ce que pourrait leur apporter une certaine discipline liturgique. Elles aimeraient garder une part de spontanéité et l'élan de la louange, mais elles aimeraient aussi introduire une dimension plus grande de recueillement10. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela ne va pas de soi. Dans le même sens, on sait que certaines personnes assujetties à des pressions sociales fortes vont effectuer des séjours dans des monastères, ou au désert. Avant de reprendre comme avant...

Accepter une réalité inacceptable, en un sens, c'est mourir. En cela, ce chemin ressemble à celui de la conversion qui “fait” le chrétien. Le travail de deuil, par maints aspects, est semblable à la démarche spirituelle type qui rend possible une renaissance. “Il s'agit de procéder à une opération vérité, de cesser de faire semblant, de dépasser le qu'en dira-t-on” (E. Kubler-Ross). Il s'agit de revenir au point douloureux, plutôt que de l'enfouir, et d'exprimer la douleur, la tristesse, la colère... On pense au Ps 32 : “Tant que je me suis tu, mes os se consumaient...” (v. 3).

Dire cela signifie-t-il qu'un véritable accompagnement serait impossible ou superflu ? Non. Sans prendre la place de la personne, il est possible de se tenir proche d'elle, de la rejoindre en partie, de l'écouter vraiment.

Il est rare qu'on puisse faire son deuil tout seul, écrit Anne Ancelin. On a besoin d'être écouté et accompagné avec empathie pendant une durée et à un rythme qui seront propres à chacun. De nombreux amis pensent mieux savoir que la personne ce qui est bien ou important pour elle. Ils ne la consultent pas. Ils consolent trop rapidement, ce qui est une manière de nier la perte subie”.

Si on considère que la personne en deuil (de sa propre vie ou de celle d'un proche) est invitée à une forme de recueillement, celui qui la visite y est invité également, faute de quoi le sentiment de solitude peut se trouver accru.

Ce recueillement implique un rythme lent11, une disposition à l'écoute attentive, une aptitude à vivre des moments de silence qui permettront que soient formulés des sentiments enfouis peut-être depuis longtemps.

L'écoute attentive de la personne en deuil (de la personne qui se prépare à mourir ou de celle qui a perdu un être cher) est une manière de lui dire qu'elle existe. L'écoute attentive d'une personne lui dit aussi que Dieu existe et se tient à l'écoute.Le jour où la personne est en mesure d'entendre cela, un chemin s'ouvre devant elle12.

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Annexes

 1. Patience et impatience

Je lis ce qu'écrit Jean dans sa première lettre : Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté ; mais nous savons que lorsque cela sera manifesté, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est.

Il y a donc une appropriation à vivre tout de suite : Nous sommes maintenant enfants de Dieu. Le verbe est au présent. C'est la dimension de la foi qui saisit ce qui est pour maintenant. Mais il y a aussi la perspective à venir :Nous serons semblables à lui. Le verbe est au futur. C'est la dimension de l'espérance, qui est une manière de posséder déjà ce qui nous manque encore. J'aime l'expression : Pas tout de suite, mais bientôt !13

L'espérance a bel et bien un impact sur la vie présente. Juste après ces deux versets, Jean ajoute : Quiconque a cette espérance en Jésus se purifie, comme lui-même est pur (1 Jn 3.2-3). Cela, c'est maintenant.

L'expression “comme lui-même”nous montre que ce que Jésus a vécu, il ne l'a pas seulement vécu à notre place, comme on le dit souvent ; mais il l'a aussi vécu en premier, c'est-à-dire : pour que nous le vivions nous aussi comme lui, avec lui, en lui !

L'expression “comme lui-même” nous fait penser à la fameuse question : Que ferait Jésus à ma place ? Cette question est légitime ! On pourrait dire aussi : Que penserait Jésus ? Ou : Que dirait Jésus à ma place ? Le Saint-Esprit plaide dans ce sens. Est-ce que nous l'entendons ? Il le faudrait. Quelle perspective magnifique !

L'espérance nourrit la patience, la persévérance, l'endurance, jusqu'au sacrifice parfois. C'est celle du laboureur qui attend la bonne saison pour récolter (Jc 5.7). On ne voit jamais Jésus se précipiter. C'est concret...

Paradoxalement, l'espérance nourrit aussi une forme d'impatience. C'est le : Viens Seigneur Jésus ! du dernier chapitre de l'Apocalypse. C'est aussi le : Pour moi, il serait avantageux de partir, de l'apôtre Paul. J'ai envie d'appeler cela : Le dégoût des choses vaines. Se purifier comme lui-même est pur...

Je veux évoquer d'un mot la tristesse et même l'irritation devant ce qui offense Dieu. On pense à Lot, bien sûr, ce juste qui tourmentait son âme nuit et jour à cause de ce qu'il voyait et entendait autour de lui (2 Pi 2.8), Ce n'est pas à nous d'exercer le jugement. Dieu le fera : Il est de la volonté de Dieu d'affliger ceux qui vous affligent, écrit Paul (2 Th 1.6). Patience, donc.

Mais il doit aussi y avoir des paroles et parfois des gestes qui annoncent ce jugement, le jour où Jésus apparaîtra du ciel avec les anges de sa puissance, au milieu d'une flamme de feu, pour punir ceux qui ne connaissent pas Dieu (1.7-8).

C'est la dimension prophétique du témoignage chrétien. Dans l'éducation des enfants par exemple, mais pas seulement. Je pense à Jean-Baptiste qui dit à Hérode : Il ne t'est pas permis d'avoir pour femme l'épouse de ton frère (Mt 14.4).

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2. Le repas du Seigneur

Ce repas de communion a une portée prophétique autant que mémorielle : Vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne ! (1 Co 11.26). Le jusqu'à ce qu'il vienne tend notre cœur vers l'avant et nous donne de voir déjà ce qui n'est pas encore là et d'en être participants. C'est exactement l'espérance.

Cette espérance qui nous lie au Seigneur nous lie aussi les uns aux autres. Le mot communion s'applique vraiment aux deux dimensions. Si nous comprenons cela, les implications, là encore, sont innombrables : c'est très précisément l'objet des lettres du Nouveau Testament, que nous devrions cesser de regarder comme un idéal chrétien14.

Le fait que les exhortations contenues dans ces lettres aient si souvent été lues comme s'appliquant à l'ensemble des hommes démontre les graves lacunes de l'espérance chrétienne : cela affaiblit considérablement le témoignage de l'Eglise et transforme le message biblique en utopie, ce qu'il n'est pas.

Tous ceux qui prennent part à ce repas sont impliqués, sans exception. Il y a deux axes d'applications, liés l'un à l'autre : l'axe pastoral qui comprend principalement l'exhortation, l'encouragement et la répréhension fraternelle ; et l'axe diaconal qui comprend le service mutuel, notamment au bénéfice des membres les plus fragiles de la communauté, l'assistance destinée aux saints (Ro 12.13 ; 2 Co 9.1, 12).

Cela ne concerne pas que les pasteurs, les anciens et les diacres, mais tous les membres de l'Eglise. Il n'empêche que le faible nombre de pasteurs, la dévaluation du ministère des anciens et la quasi disparition du ministère des diacres (le diaconat s'étant souvent transformé en action sociale, ce qui est une hérésie), tout cela est le signe de la fragilité de notre espérance15.

La foi est toujours là, mais le moteur est faible, tandis que le chemin est souvent ardu...

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3. L'euthanasie : désir et refus de la mort

Il arrive que l'humain en souffrance d'exister jette un regard furtif vers la mort... Les tendances sociétales de ces dernières décennies ne peuvent qu'inquiéter ceux qui considèrent le vivre ensemble malgré tout comme fondateur de notre humanité” écrit J-P Bénézech qui mentionne 5 facteurs qui tendent à banaliser le suicide assisté ou l'euthanasie :

1. L'absence de transcendance globale : Depuis la “mort de Dieu”16, la perte de notion de transcendance affecte nos sociétés occidentales, conduisant à une remise en cause de l'appartenance de la Vie à plus grand que soi. Celle-ci n'est plus déposée par Dieu en l'Homme (qui en était le dépositaire et non le propriétaire). Ma vie m'appartient et j'en dispose librement… L'athéisme militant, la raison sûre d'elle-même, la science triomphante sont autant d'éléments qui rendent l'humain sans complexe au regard de l'arrêt de sa propre vie.

2. L'absence de transcendance humaine. Cette perte de transcendance affecte aussi l'homme qui se voit ravaler en simple machine... L'homme est réduit à un ensemble d'organes. Il “n'est que ça”... La globalité de son existence, de son mystère ne pèsent pas lourd dans la balance. Pourtant, on ne sait rien de ce qui se vit dans des états comme le coma, l'agonie, et là encore, le doute pourrait être une porte d'entrée différente conduisant à un respect plus grand de ce réel inconnu.

3. Le refus de la souffrance, de la douleur, de l'effort. Notre société ne supporte plus la souffrance, la douleur. Les efforts pour atténuer la douleur sont légitimes. Mais il en résulte une fragilisation qui rend encore plus insupportable le moindre vécu difficile. Dans une vie où seul le plaisir est valorisé, où même les efforts ne sont acceptables que dans la pratique sportive, le sens ne peut être trouvé à ces moments plus difficiles.

4. L'autonomie du sujet. “C'est mon choix” devient le référentiel de tous les secteurs de la vie. Ce fractionnement de la société en autant d’îlots divers qui décident (qui croient décider) de façon autonome, fragilise le ressenti final sur des questions majeures comme le mal, la maladie, la mort. On pense à l'interruption de grossesse.

5. L'individualisme. L'individualisme ne peut qu'aggraver la peur de la mort (Edgar Morin). “Est-il encore possible, l'an 2000 passé, de parler d'interdit fort, moral, qui s'impose à la conscience, parce que pour faire de l'humain, il faut des limites véritables...”. 

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4. La solitude qui fait grandir

''La solitude s’apparente à un désert, écrit Elisabeth Elliot, mais en la recevant comme un don, en l’acceptant de la main de Dieu et en la Lui apportant avec reconnaissance, comme une offrande : elle peut devenir une voie qui conduit à la sainteté, à la gloire de Dieu lui-même''. Elisabeth Elliot (1926-2015), épouse de missionnaire, a été veuve à deux reprises. Elle a écrit : La solitude. Elle peut être un désert, elle peut être un chemin vers Dieu (Farel).

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5. A côté du désastre, la foi

''La religion bien comprise ne se présente pas comme une connaissance de l’homme alternative à celle fournie par les sciences, mais se situe sur une autre dimension, que l’on avait l’habitude d’appeler le sacré ou la transcendance, et qui s’ancre dans la conscience de la finitude humaine. Elle semble toutefois inintelligible à la modernité, qui veut y voir une supercherie dont il faudrait balayer les derniers résidus. C’est ce qui en a poussé plusieurs, au fil des dernières décennies, à tout faire pour la déritualiser, afin de libérer la spiritualité de chacun de contraintes symboliques supposées vieillies et lui donner la chance de « l’authenticité ».

On a oublié que la liturgie n’était pas qu’une mise en scène théâtrale mais un langage rejoignant des régions sinon inexplorables de l’âme humaine, aujourd’hui abandonnées. Cela a probablement contribué à une forme de désarroi civilisationnel''. Mathieu Bock-Côté (Le Figaro, 27 mars 2020)

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6. Une métamorphose

Le mot métamorphose, pour le chrétien, semble se situer en grande proximité de l'expérience spirituelle. On pense au témoignage d'Asaph dans le Psaume 73 : Quand j'ai réfléchi là-dessus pour m'éclairer, la difficulté fut grande à mes yeux, jusqu'à ce que j'eusse pénétré dans les sanctuaires de Dieu et que j'eusse pris garde au sort final des méchants (73.16-17). En réalité, il n'y a pas de réponse mais une révélation qui change le regard. Et ce qui change le regard change aussi la personne dans son être profond et dans ses ressources. L'apôtre Paul semble bien dire cela quand il invite le croyant à contempler comme dans un miroir la gloire du Seigneur, avant de préciser qu'en le faisant, nous seront transformés – littéralement métamorphosés – en la même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, l'Esprit (2 Co 3.18). Le Dr Bénézech compare la résilience de Boris Cyrulnik à une résurrection.

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Notes :

1Psychologue et enseignante. A écrit : Aïe, mes aïeux (Desclée de Brouwer, 1998). Elle est décédée en 2018.

2 On peut citer : La résilience ou comment renaître de sa souffrance ? (B. Cyrulnik et C. Séron, Ed. Fabert), ou La résilience – Entretiens avec Boris Cyrulnik (Le bord de l'eau éditions).

3 Psychologue et psychiatre attaché à l'Unité de Soins palliatifs du CHU de Montpellier. Il a écrit, avec le docteur Jean-Pierre Bénézech : La mort ne s'affronte pas (Sauramps, 2011).

4Voir l'annexe 1 : Quelques questions au sujet de l'euthanasie.

5 Marie Ireland est la présidente de l'association Jalmalv. Elle a écrit Apprivoiser le deuil (Presses du Châtelet, 2001).

6Voir l'annexe 4 : La solitude qui fait grandir.

7 L'éthique de la psychanalyse, Seuil, 1986.

8Edgar Morin, L'homme et la mort (Seuil, 1970).

9J-P Bénézech est médecin. Il travaille au Département des soins palliatifs du CHU de Montpellier.

10Voir l'annexe 5: A côté du désastre, la foi.

11Cette forme de sobriété dont parle l'apôtre Pierre en 1 Pi 4.7.

12 Boris Cyrulnik écrit : Il n'y a pas de réversibilité possible après un trauma, il y a une contrainte à la métamorphose (Les vilains petits canards, Odile Jacob, 2004). Voir l'annexe 6 : Une métamorphose.

13 Ceux qui parlent comme cela montrent qu'ils cherchent une patrie. Maintenant, ils en désirent une meilleure, c'est-à-dire une céleste. Dieu n'a pas honte d'être appelé leur Dieu, car il leur a préparé une cité (Hé 11.14-16).

14Je viens d'écrire un article intitulé : Les personnes âgées sont-elles hors communion ?

15 Le modèle de l'Eglise centrée sur la personne de Jésus-Christ ayant souvent laissé la place au modèle associatif...

16Courant de pensée des années 1970 en philosophie et en théologie.

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