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Le blog de Charles Nicolas
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  • Dans une société déchristianisée où les mots perdent leur sens, où l'amour et la vérité s'étiolent, où même les prédicateurs doutent de ce qu'ils doivent annoncer, ce blog propose des textes nourris de réflexion biblique et pastorale.
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31 mars 2022

S'équiper pour servir (3)

 

Le risque du sur-fonctionnement1

Notre professeur de théologie pratique (Pierre Courthial à Aix-en-Provence) nous disait : Il y a deux pièges pour les pasteurs (il y en a beaucoup plus que 2 !) : la paresse et l'activisme. Je ne sais lequel des deux est le plus grave ; mais les deux sont graves.

Dans sur-investissement, ce n'est pas 'investissement', qui pose problème, c'est le 'sur-', comme dans sur-infection, sur-consommation, sur-endettement... Le 'sur-' indique un dérèglement, voire une pathologie. Le piège est que, pour beaucoup, le sur-fonctionnement fait penser à plus de foi, alors qu'il peut, paradoxalement, être le signe d'une forme d'incrédulité.

Une parole du Psaume 37 dit cela très bien : Mieux vaut le peu du juste que l'abondance de beaucoup de méchants (v. 16). La notion de justice est importante dans l'Ecriture. Elle désigne exactement la volonté juste de Dieu : ni plus, ni moins ! Je la rapproche volontiers de la notion de justesse et, partant, de précision, d'exactitude. Cela vaut pour les prédicateurs, par exemple : Prêcher la parole, c'est s'empêcher de broder sur la parole... Une prédication trop courte, c'est dommage ; une prédication trop longue aussi. Dans nos cultes, il y a beaucoup de paroles, je trouve...

Je pense à l'expression : Racheter le temps (Ep 5.16), souvent comprise comme une invitation à en faire le plus possible... Mais le texte et tout le contexte indiquent un autre sens qui est mieux rendu par : Saisissez l'occasion (kaïros), discernez la pensée de Dieu, ce qui s'accommode mal de la précipitation.

Dans ce sens, le livre des Proverbes mentionne la parole dite à propos (15.23 ; 25.11). Quoi de plus beau ! Souvent, je rappelle aux visiteurs d'aumônerie l'importance d'écouter avec attention, sans interrompre, longuement si nécessaire : Si vous écoutez avec attention, et s'il y a quelque chose à dire, cela vous sera donné2.

La Bible est sévère en ce qui concerne la paresse. La paresse est une sorte de vol, un détournement de la grâce, autrement dit une trahison.

Ceci dit, on pourrait citer pas mal de textes qui soulignent le risque du sur-fonctionnement. Le discours de Jéthro à Moïse est particulièrement éloquent, précisément dans le registre du ministère pastoral. Ce que tu fais n'est pas bien. Tu t'épuiseras toi-même et tu épuiseras ce peuple qui est avec toi ; car la chose est au-dessus de tes forces, tu ne pourras pas y suffire seul (Ex 18.18). Puis, le conseil de Jéthro arrive, également très clair : Choisis parmi tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, des hommes intègres, ennemis de la cupidité (= désintéressés) ; établis-les sur eux comme chefs de mille, chefs de cent, chefs de cinquante et chefs de dix. Qu'ils jugent le peuple en tout temps ; qu'ils portent devant toi toutes les affaires importantes et qu'ils prononcent eux-mêmes sur les petites causes. Allège ta charge, et qu'ils la portent avec toi. Si tu fais cela et que Dieu te donne des ordres, tu pourras y suffire, et tout ce peuple parviendra heureusement à sa destination (18.21-23).

Je pense au Psaume 127 : En vain vous levez-vous tôt et vous couchez-vous tard... Le sur-fonctionnement n'est pas la manière de Dieu : il ne reflète ni sa sagesse, ni sa grâce. Il met en danger, occasionne des dégâts et ne permet pas d'atteindre les objectifs.

Ce problème guette les personnes qui ne savent pas dire non. Cela passe aussi pour du dévouement, mais cela peut être de la faiblesse, ou encore un désir de plaire (cf. Ga 1.10). En réalité, il y a des non qui sont parfois plus utiles et même féconds que des oui (Ac 6.2). Il est important de savoir dire : Je ne sais pas, parfois. Quand le papa ou la maman disent cela pour la première fois, les yeux des enfants s'ouvrent...

Ce problème guette les personnes douées, compétentes dans beaucoup de domaines ; il guette aussi les personnes complexées qui ont quelque chose à prouver...

Nous sur-fonctionnons quand nous faisons pour les autres ce qu'ils pourraient ou devraient faire eux-mêmes. Les sur-fonctionneurs empêchent les autres de grandir. On les regarde faire...

La difficulté tient au fait que cela semble être nourri par une bonne intention.
Mais les dégâts sont généralement importants et les racines difficiles à extirper, car cela devient une manière d'être. Renoncer à cette manière d'être ou de faire nécessite sans doute une forme de brisement.

Cinq conséquences négatives 

1. Le sur-fonctionnement génère du ressentiment

On le voit avec Marthe et Marie en Luc 10. Marthe perd de vue ses besoins personnels, mais aussi la finalité de son travail. Elle confond prendre soin et prendre en charge.

Tu t'inquiètes et te tracasse pour beaucoup de choses, mais tu passes à côté de l'essentiel...”.

2. Le sur-fonctionnement entretient l'immaturité

J'ai mentionné le fait d'être guidé par ses sentiments, la dépendance vis-à-vis du regard des autres.... Il peut y avoir aussi une forme de fuite : agir occupe l'esprit... Un psychologue a dit : Celui qui se précipite pour répondre veut se rassurer lui-même...

3. Le sur-fonctionnement empêche de respecter les priorités dans mes engagements

On le voit avec le choix des diacres en Actes 6. Les événements ou le regard des autres vont présider mon comportement et mes choix au détriment des vraies priorités. Par exemple, je peux tenir un discours irréprochable sur la vie de couple et l'éducation des enfants, sur le recueillement et la prière, et ne pas vivre cela correctement...

L'enseignement de Paul sur les dons (1 Co 12) démontre l'importance du respect de la diversité des dons reçus et des engagements qui y correspondent. Le mot chacun impose le principe de la répartition des tâches, des limites et de la complémentarité.

Quand Jésus dit : Vous serez mes témoins (Ac 1.8), il ne dit pas : Vous ferez le travail à ma place, mais : Vous verrez ce que je fais ! (et pas seulement ce que j'ai fait). La bonne posture, pour le chrétien est d'être témoin et acteur : pas seulement témoin, pas seulement acteur. Pour être témoin, il ne faut pas courir3.

Je pense à une assistante sociale qui disait :Il n'y a jamais d'urgence. Dans l'urgence, bien des paroles, des choix, des actes malheureux peuvent être posés... y compris aux Urgences de l'hôpital. L'usage immodéré du téléphone portable expose au risque de précipitation. Si vous voyez un berger en train de courir, inquiétez-vous pour son troupeau4.

4. Le sur-fonctionnement érode ma vie spirituelle

Seul Christ est le Sauveur. Si nous confondons agir de la part du Seigneur et agir à sa place, nous entrons dans un territoire dangereux. N'oublions pas que le premier péché a été la transgression d'une limite. Quand Jésus dit que Dieu révèle ses secrets aux enfants (Mt 11.25), il donne un sérieux avertissement aux sur-fonctionneurs.

Je sais que je sur-fonctionne quand je pense que je n'ai pas le temps de m'arrêter pour passer un moment avec Dieu. C'est pour cela que le respect du sabbat, la pratique de la solitude, du silence, du jeûne, de la contemplation, peut aider à résister à cette tentation.

5. Le sur-fonctionnement détruit la communauté

Il est arrivé que des Réveils surviennent quand le pasteur s'en va... Jéthro montre que ce n'était pas seulement l'intérêt de Moïse qui était en jeu, mais aussi celui du peuple.

Le sur-fonctionneur est inaccessible aux personnes modestes qui disent : Il est trop occupé pour s'occuper de moi... On peut aussi évoquer ici ce qu'on appelle le triangle dramatique qui me fait être tour à tour sauveur, victime et persécuteur...

Quand chacun fonctionne de manière adéquate selon le dessein de Dieu (selon les dons de chacun5), les relations sont marquées par le fruit de l'Esprit qui a un fort impact sur les autres. Quand le sur- et le sous-fonctionnement sont présents, les relations sont marquées par les dissensions, les conflits, les accusations, l'impuissance, la colère, le découragement.

Une communauté saine requiert que chacun (= tous) prenne une responsabilité propre correspondant à son âge, son état, ses dons, ses capacités. Il est peu probable que les sous-fonctionneurs fassent le premier pas. Les sur-fonctionneurs doivent se corriger en premier. Normalement... personne n'est oublié, personne ne devrait être surchargé et personne ne devrait se sentir inutile ! 

6. Se libérer du sur-fonctionnement n'est pas aisé

Les racines sont souvent profondes, anciennes. Le professeur Michel Johner dit : On est dans la civilisation du trop. Notre époque nous fait croire que tout est conciliable, compatible, qu'on n'est pas obligé de choisir, de renoncer...

Trois étapes sont certainement nécessaires :

1. Admettre que je sur-fonctionne (si c'est le cas !)6

Ce n'est pas si simple car l'habitude nous empêche de le voir et si nous le voyons, une foule d'excuses peuvent se présenter. De plus, le sur-fonctionnement passe aisément pour le fruit d'une foi zélée. Nous devons repérer les signaux et abandonner les motivations équivoques...

2. Ebranler les postures établies

Par exemple, commencer à dire non quand il est juste de dire non, même si cela n'est pas compris. Si une maman cesse de beurrer les tartines de son enfant de 12 ans, l'enfant ne va pas comprendre tout de suite..., mais c'est mieux pour lui. Le sur-fonctionnement de certains peut être sécurisant pour beaucoup. Changer cela peut générer de l'incompréhension, de l'anxiété, des reproches7.

3. Assumer une période d'inconfort

La sur-activité peut devenir une addiction... L'abandonner peut révéler d'autres failles. Cela peut s'avérer redoutable.

Un séjour à l'hôpital ou dans un centre de désintoxication peut ressembler à une forme de retraite spirituelle imposée, pour certains. Je vois des personnes qui font plus de chemin en dix jours sur un lit qu'en 30 ans passés à courir dans tous les sens...

Dépasser l'incompréhension ou des reproches de la part de l'entourage (sentiment d'être trahi).

Accepter de faire face à l'inconnu. - Qui va s'occuper de cela ?

Abandonner le désir de tout gérer, de tout contrôler8.

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Nous sommes en effet, pour Dieu, la bonne odeur de Christ... (2 Co 2.15).

Vous êtes manifestement une lettre de Christ, écrite par notre ministère, non avec de l'encre mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre mais sur des tables de chair, sur les cœurs (2 Co 3.3).

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Annexes 

1. Le témoignage par débordement

C'est sans paroles que les épouses chrétiennes gagneront leur mari, écrit l'apôtre Pierre (1 Pi 3.1-2). Est-ce trop facile ? Pas sûr. Ce silence, nous le trouvons aussi lors du procès de Jésus, devant Pilate (Mc 14.61). L'occasion était belle, pourtant.

Le silence, nous le voyons avec l'image du fruit : c'est au fruit qu'on reconnaît l'arbre (Mt 12.33). Un fruit ne parle pas, ne fait rien d'autre qu'être là. Le sel (Mt 5.13) ; la lumière (Mt 5.14) sont silencieux. Un parfum de même : Vous êtes la bonne odeur de Christ (2 Co 2.15). Une lettre ouverte sur une table ne fait entendre aucun son, mais on peut la lire (2 Co 3.3).

Souvenons-nous du visage de Moïse qui brillait, après qu'il se soit tenu devant l'Eternel. Quel témoignage, sans parole.

Dans ce sens encore, Pierre demande aux chrétiens d'être simplement prêts à répondre si on les interroge (1 Pi 3.15). Est-ce trop facile ? Pas sûr.

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2. Ecouter

« Le premier service que l'on doit au prochain est de l'écouter. De même que l'amour de Dieu commence par l'écoute de sa Parole, ainsi le commencement de l'amour pour le frère consiste à apprendre à l'écouter...

Les chrétiens, et spécialement les prédicateurs, croient souvent devoir toujours « offrir » quelque chose à l'autre lorsqu'ils se trouvent avec lui ; et ils pensent que c'est leur unique devoir. Ils oublient qu'écouter peut être un service bien plus grand que de parler...

Qui ne sait pas écouter son frère bientôt ne saura même plus écouter Dieu ; même en face de Dieu, ce sera toujours lui qui parlera... Nous devons écouter avec les oreilles de Dieu, afin de pouvoir nous adresser aux autres avec sa parole ».

                                                                                                                                               Dietrich Bonhoeffer, De la vie communautaire

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 Notes :

1 Ces notes sont en partie inspirées par le livre de Geri Scazzero : The Emotionally Haeltht Woman : Eight things you have to quit for change your life (Kindle Edition). Son mari Peter Scazzero a écrit : The emotionally Healthy Church.

2Voir en annexe la citation de Dietrich Bonhoeffer sur l'écoute.

3Marie de Hennezel, dans un livre sur la vieillesse, relate sa rencontre sur un sentier de montagne avec un homme âgé. Auparavant, dit-il, je parcourais ce chemin en courant. Maintenant, je marche lentement et je peux observer et entendre beaucoup de choses que j'ignorais quand je courais.

4Noter la mauvaise compréhension de la parole de Paul : Rachetez le temps (Ep 5.16). Paul dit plutôt : Usez de discernement, d'autant plus que la situation est délicate ou grave !

5L'apôtre Pierre parle du don de chacun (1 Pi 4.10), au singulier, ce qui indique vraisemblablement une vocation prioritaire à ne pas négliger (cf. Ac 6.2-4).

6Voir l'annexe : Le sur-fonctionnement peut s'évaluer.

7Ceci étant dit, ne surchargeons pas les fidèles déjà surchargés. Des choix sont à faire, inévitablement.

8Le livre des Actes démontre que les apôtres ne contrôlaient pas le cours des événements. Ils étaient simplement prêts quand une circonstance particulière survenait.

La romancière Marie Darrieussecq est insomniaque. Elle vient de publier un livre intitulé Pas dormir (P.O.L, 2021). Elle y décrit les conséquences de ce qu'on peut appeler l'hyper-vigilance, qui est un état d'alerte permanent.

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