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Le blog de Charles Nicolas

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  • Dans une société déchristianisée où les mots perdent leur sens, où l'amour et la vérité s'étiolent, où même les prédicateurs doutent de ce qu'ils doivent annoncer, ce blog propose des textes nourris de réflexion biblique et pastorale.
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24 avril 2024

Genre, homosexualité - évolution ou révolution ? (1)

 

 

Genre, homosexualité - évolution ou révolution ? (1)

 

Charles NICOLAS

 

Dieu a mis une loi en Israël pour qu'elle soit connue de la génération future, des enfants qui naîtraient, et que devenus grands, ils en parlent à leurs enfants... (Ps 78.5-8).

 

Traiter ce sujet en une heure n'est pas évident. Nous ne sommes pas des spécialistes ; nous sommes des chrétiens et nous nous interrogeons sur ce que nous voyons et entendons, comme le dit l'apôtre Paul : Examinez toutes choses et retenez ce qui est bon (1 Th 5.21). Je voudrais commencer par une anecdote et par une citation.

 

L'anecdote. Au début des années 2000, le lobby homosexuel commençait à se faire entendre un peu partout. Le professeur de la faculté de théologie de Montpellier André Gounelle a donné une conférence sur ce sujet, à laquelle j'ai assisté. Il a recensé les passages bibliques qui parlent de ce sujet, il a fait entendre que tous étaient défavorables aux pratiques homosexuelles, et a conclu que chacun était libre de se faire une opinion. Ce qui m'a frappé, c'est qu'au cours de sa conférence, à 3 ou 4 reprises, il s'est excusé auprès de ceux et celles que la seule mention de l'homosexualité pourrait choquer. Vous voyez combien les mentalités ont changé en 20 ans.

 

La citation est de l'écrivain russe Dostoïevski : Si Dieu n'existait pas, tout serait permis1. Le 4 mars dernier, l'affiche officielle des Jeux olympiques était dévoilée, montrant le dôme des Invalides sans sa croix. Au même moment, le Congrès à Versailles votait l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution. Vous savez en quels temps nous sommes, écrivait l'apôtre Paul (Ro 13.11). Oui, il faut le savoir.

 

1. Le terreau où cela grandit

 

Pourquoi dire cela ? Parce qu'un comportement ne vient jamais sans une idée qui le précède. Et une idée ne naît jamais toute seule : elle est le fruit d'un courant qui la précède. On pourrait remonter jusqu'à la tentation et la Chute de Genèse 3, mais le courant plus proche de nous qu'il faut mentionner, c'est celui qu'on appelle les Lumières (Emmanuel Macron s'y réfère souvent, en préconisant que ces valeurs-là sont universelles et devraient s'appliquer dans tous les pays). Ce courant s'est développé en Europe – et surtout en France – durant le XVIIIème siècle. La Révolution française en est un des fruits directs.

 

Si je devais définir ce mouvement en une formule, je dirai : La raison (l'Homme) est placée au-dessus de la Révélation (Dieu). Evidemment, cela change beaucoup de choses2 : aujourd'hui, dans les écoles et les Universités, à l'Assemblée nationale, dans les médias, les hôpitaux, etc., on ne va pas interdire la Révélation biblique, mais on va considérer que la raison est au-dessus3.

 

La question est : quelle est la fiabilité de cette Raison, de cette intelligence ? La Bible parle de la raison éclairée par le discernement que Dieu donne, dans la soumission à sa volonté, c'est-à-dire dans la foi (Ps 111.10 ; Pr 3.4 ; 13.15 ; 28.5). Mais si la raison est placée au-dessus de tout, alors la raison est éclairée par la raison (ou par les émotions, les deux n'étant pas si faciles à départager, contrairement à ce qu'on dit) ... C'est 'la raison autonome'4. Le verdict de Paul est clair : Se vantant d'être sages, ils sont devenus fous (Ro 1.22)5. C'est comme une boussole qui choisirait elle-même son propre Nord.

 

Divers courants de pensée se sont greffés sur la philosophie des Lumières6. Le plus récent est sans doute le Wokisme7, avec ce qu'on appelle la Cancel culture (c'est-à-dire la culture de l'effacement, de la table rase). Tous ces courants, dont nous respirons les effets sans nous en rendre compte, ignorent ou s'opposent à la révélation biblique8. Ils sont strictement horizontaux et n'ont d'autres espérance que de construire un monde meilleur, c'est-à-dire émancipé. Le Marxisme en est une claire illustration.

 

La banalisation de l'homosexualité, la théorie du genre, le féminisme radical..., ne sont que des éléments d'un tableau plus large. C'est ce qui explique, par exemple, la campagne de vaccination des enfants de 12 ans contre le papillomavirus, une maladie sexuellement transmissible. Il ne s'agit pas seulement de répondre aux attentes d'une minorité, il s'agit de promouvoir une nouvelle vision du monde, avec de nouvelles références et une nouvelle échelle de valeurs. Une nouvelle création ! Cela explique qu'il puisse, dans certains cas, devenir impossible de se comprendre, comme si on ne parlait pas la même langue. C'est un préalable des situations de persécution...

 

2. La théorie du genre

 

Notons qu'il n'y a pas que les croyants qui s'inquiètent de ces courants actuels9. Après le rejet de Dieu10, deux facteurs favorisent la théorie du genre : l'hyper-individualisme (c'est moi qui définis ce que je suis, par autodétermination) et l'effacement de la réalité (je suis ce que je veux être). C'est ainsi que le genre (qui est une construction psychique, sociale, culturelle), se dissocie du sexe biologique11. On parle de transitionnement ou de réassignation sexuelle. Un garçon peut dire à son professeur : Appelez-moi Lola.

 

Le professeur Sylvain Aharonian écrit : Rejetant la vision réaliste de l'altérité sexuelle, l'idéologie du genre veut attribuer à l'individu la liberté de choisir, subjectivement et indépendamment de son sexe biologique, son identité sexuelle, et de revenir autant de fois qu'il le veut sur son choix : je suis ce qu'à tout moment je décide d'être ! 12.

 

Dans ce sens, le mouvement Queer initié par Judith Butler, refuse de tenir compte de la différence anatomique des sexes pour ne faire cas que de l'orientation sexuelle susceptible de varier au gré de l'évolution de la volonté de l'individu13. L'hétérosexualité cesse de devenir normative, ce qui ouvre la porte à l'homosexualité14. Tout est lié.

 

Ce qui est étonnant, c'est que ces mouvements de pensée qui se réfèrent volontiers aux “dernières découvertes scientifiques” font volontiers fi de la science. Ils oublient que chaque cellule du corps d'un homme ou d'une femme est masculine ou féminine : un acte chirurgical ne peut pas changer cela, ni même un traitement aux hormones. Une bûche de chêne ne deviendra jamais une bûche de hêtre.

 

Que dit la Bible ? Une des caractéristiques de la Création est la différentiation. Dieu sépare la lumière et les ténèbres, la terre et la mer. Dieu crée les herbes et les arbres fruitiers, chacun portant sa semence (Gn 1.11)15. Puis Dieu crée les poissons et les oiseaux selon leur espèce ; et de même pour les animaux terrestres. Puis Dieu crée l'être humain à son image, à sa ressemblance ; il le crée homme et femme. Cela signifie que la distinction homme/femme a son origine non seulement dans la volonté de Dieu mais aussi dans son être, puis qu'elle en est un des reflets.

 

Par ailleurs, je ne me réduis pas à mon corps, mais je ne suis pas sans mon corps. Celui-ci fait partie de mon être. C'est dans son corps que chacun est appelé à assumer la vocation qui est la sienne16 : l'homme en tant qu'homme, la femme en tant que femme, le maître en tant que maître, le serviteur en tant que serviteur, etc. (1 Tm 6.1-2. Cf. 1 Co 7.20-24). Accepter cette vocation et y être fidèle n'est pas une marque de faiblesse ou d'esclavage, mais au contraire de liberté et de maturité17.

 

(à suivre)

____________

 

Notes :

 

1Cette citation a été reprise par le philosophe Jean-Paul Sartre. Je lis : Dostoïevski avait écrit : "Si Dieu n'existait pas, tout serait permis." C'est là le point de départ de l'existentialisme. En effet, tout est permis si Dieu n'existe pas, et par conséquent l'homme est délaissé, parce qu'il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s'accrocher. L'existentialisme est une école de philosophe récente qui dit : La seule chose dont je puis être sûr, c'est que j'existe.

2Le philosophe Pierre Manent (auteur du livre Pascal et la proposition chrétienne, 2022) affirme : Si Dieu existe ou s'il n'existe pas, cela fait une très grande différence. Pourquoi la question est-elle toujours reportée à plus tard ?

3Un professeur de philosophie a écrit : Les Lumières, c'est l'éclairement qu'apporte à l'homme l'usage de sa raison et de son intelligence. La raison permet à l'homme d'écarter les préjugés, les superstitions, le fanatisme religieux, et sert de guide pour agir sur le monde (Amélie Vioux, https://commentairecompose.fr). Voir l'annexe 1.

4C'est cette raison-là (qu'à la Révolution on a appelée la Déesse Raison) qui va déterminer ce que sont les préjugés, les superstitions, et le fanatisme religieux. On a vu ce que cela a donné en Union soviétique (20 millions de détenus, 4 millions de mort dans les Goulags). On le voit avec le féminisme actuel, et ses revendications no limit.

5Voir l'annexe 1 sur la loi naturelle.

6 Le Romantisme, l'Evolutionnisme, la Psychanalyse, le Marxisme, le Positivisme, le Progressisme...

7Voir l'annexe 2 sur le wokisme. J'ai abrégé en 7 pages le livre de Jean-François Braunstein : La religion woke.

8Le Marxisme, par exemple, explique que la racine des injustices se situe au niveau économique et social. La Bible ne dit pas cela. L'Existentialisme athée, promu par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, fait de la liberté de l'individu la référence la plus haute. Le Progressisme pense qu'un conducteur de TGV est beaucoup plus intelligent qu'un conducteur de diligence. Mais cela ne correspond pas du tout à la définition biblique de l'intelligence.

9Je mentionne deux ouvrages récents : La fabrique de l'enfant transgenre, de Caroline Eliacheff et Céline Masson, psychanalystes ; et Le phénomène trans, du philosophe Dany-Robert Dufour.

10Voir l'annexe 3 : La théorie du genre, un outil au service du totalitarisme ?

11Je ne sais pas si le wokisme permettra un jour à un homme de couleur de dire : Je suis un blanc. Pourquoi pas, s'il le sent comme cela ? En 2015 aux Etats-Unis, Rachel Dolezal (qui se fit appeler Nkechi Amare Diallo) fut la première personne à être identifiée comme transraciale. Voir : Théorie du genre : un ancien transgenre dénonce « un prosélytisme général.

12On peut parler d'utopie transhumaniste. S. Aharonian est professeur d'éthique à l'Institut biblique de Nogent. Il écrit : Quant à la France, on frémit devant l’intrusion de l’idéologie du gender dans la formation des professionnels de la petite enfance ou dans l’enseignement scolaire (Clarté sur le gender dans les Cahiers de l'IBN n° 164 de juin 2014).

13Cette volonté émancipatrice se fait aisément totalitaire. Dans ce sens, la philosophe américaine Christina Hoff Sommers écrit : On ne devrait autoriser aucune femme à rester à la maison pour s’occuper de ses enfants. Les femmes ne doivent pas avoir cette option, car si cette option existe, trop de femmes la choisiront ! (Voir le livre de Nathalie Heinich, Le Wokisme serait-il un totalitarisme ? Albin Michel, 2023). Le prêtre Joseph-Marie Verlinde écrit : Marx voulait construire une société sans classe ; le mouvement Queer cherche à édifier une société sans sexe.

14 L’Idéologie du gender comme identité reçue ou choisie ? (2012, p. 39). Voir aussi : La fabrique du post-humain (2015).

15Tu ne porteras point un vêtement tissé de diverses espèces de fils, de laine et de lin réunis ensemble (Dt 22.11).

16Voir l'annexe 4 sur la portée de la différenciation sexuelle et l'annexe 5 : Sauver la différence ses sexes.

17La psychologie dit cela quand, dans le processus de deuil par exemple, elle parle de l'étape de l'acceptation : c'est l'étape qui introduit l'apaisement - à l'inverse de Rachel qui n'a pas voulu être consolée (Mt 2.18). Placer une personne devant tous les choix possibles – comme le fait l'éducation positive – peut conduire à un vertige destructeur.

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22 avril 2024

Le retour du Seigneur est-il pour (très) bientôt ?

 

 

Le retour du Seigneur est-il pour (très) bientôt ?

 

 

La lecture de ce court billet n'est pas urgente - quoi que !

Tout le monde a remarqué que certains chrétiens affirment à tout moment le retour prochain du Seigneur, tandis que d'autres n'en parlent (n'y pensent) jamais. Nous avons là, de toute évidence, deux dérives à éviter - encore que la seconde me paraît plus grave.

Je propose brièvement quelques repère pour se situer.

La foi se situe entre la crédulité (qui se laisse séduire par le fantastique) et l'incrédulité (qui se fie à la seule raison). Aujourd'hui, beaucoup de personnes oscillent entre ces deux écueils qui ne forment pas un bon équilibre...

Par contre, l'intention du message biblique est double : celui-ci est à la fois didactique (il nous enseigne) et prophétique (il nous exhorte). Il ne s'agit pas seulement plus instruits, plus savants (bien des questions demeurent sans réponse) ; il s'agit aussi de nous aider à vivre de manière juste - mais cela suppose aussi d'être instruits !

Par exemple, quand Jésus dit : Il en sera à la fin des temps comme au temps de Noé, il se réfère bien à deux événements précis, inscrits dans le temps, un passé et un à venir. En ce sens, c'est didactique. Mais c'est aussi pour nous appeler à veiller, à ne pas nous laisser endormir et surprendre, à discerner en quels temps nous sommes. En ce sens c'est prophétique.

Le même schéma est bien visible dans le récit de Luc 13.1-5. Jésus relate deux faits divers contemporains : le meurtre de 10 Galiléens et la mort accidentelle de 18 personnes. Puis il ajoute : Si vous ne vous repentez, vous périrez de la même manière.

Concernant le retour de Jésus, maints passages le relatent comme un événement qui doit survenir, de manière soudaine, quand les temps seront accomplis. Ce n'est pas une parabole, ce n'est pas allégorique. Le fait que nul ne sache ni le jour ni l'heure (Mt 24.36) apporte la dimension prophétique ou exhortative : peu importe quand, il faut être prêt maintenant, ici et maintenant.

Ainsi, si les événements des temps de la fin doivent bien se produire à une date arrêtée, il semble évident que Jésus a voulu que chaque génération considère cet événement comme proche voire imminent. Si, de manière objective, cela n'est pas exact, cela l'est de manière pédagogique. En d'autres termes, celui qui le croit fait mieux que celui qui l'ignore, même si des siècles devaient encore s'écouler.

Un autre fait corrobore cela : la mort de chacun de nous, en un sens, coïncide avec ce rendez-vous que constitue le retour de Jésus-Christ. Or, le moment de cette mort est inconnu (et il est bien qu'il demeure inconnu et qu'on n'en décide pas soi-même) et proche (quel que soit notre âge !).

Remarque : le mot grec taku traduit souvent par bientôt (Je viens bientôt, Apoc. 22.20) devrait plutôt être traduit par rapidement, promptement, sans retard, ce qui rejoint les paroles de Pierre : Le Seigneur ne tarde pas comme quelques uns le croient (2 Pi  3.9). Ainsi, il est moins question d'une date que d'une proximité dynamique ! Cela signifie que même ceux qui l'attendent seront surpris ! (Je ne vous dis pas les autres...).

Cela explique, par exemple, ces paroles de Paul : Que ceux qui pleurent soient comme ne pleurant pas, ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas (1 Co 7.29ss). Etonnant. En d'autres termes, la proximité du retour de Jésus exhorte ceux qui sont tentés de s'assoupir  : Réveille-toi, toi qui dors ! (Ep 5.14) et console ceux qui gémissent : Nous gémissons dans cette tente, désirant en revêtir une meilleure (2 Co 5.2). Votre délivrance est proche ! (Lc 21.28),

Je termine ce mot avec cette citation de Félix Neff (1797-1829) : Tout est provisoire en ce monde, l'Eglise comme le reste. Et pour une nuit que nous y passons, il n'est pas nécessaire d'y bâtir une forteresse : une légère tente ou un charriot couvert, tels les peuples nomades, sont plus que suffisants. Demain, s'il plaît au Seigneur, nous serons dans la cité de Dieu.

Ch.N.

 

 

 


 

20 avril 2024

Quel fondement pour travailler ensemble ? (4)

 

 

Quel fondement pour travailler ensemble ? (4)

Quelle légitimité ont les Unions d'églises ?

 

Charles NICOLAS

 

 

Annexes (suite et fin)

 

6. Synode de Dordrecht

 

Pour une mesure d'unité plus grande dans la compréhension biblique de la rédemption, je pense utile de redonner la place qu'ils méritent aux Cinq points du Synode de Dordrecht (1574). En anglais, ces cinq propositions permettent l'acronyme TULIP : Total depravity, Unconditional election, Limited atonement, Irresistible grace, Perseverance of the Saints. Ils affirment la dépravation totale de l'homme, l'élection inconditionnelle, l'expiation définie (ou limitée), le caractère irrésistible de la grâce de rédemption et la persévérance des saints. Ces points ont été adoptés dans le contexte d'une querelle théologique. Ils demeurent néanmoins pertinents aujourd'hui.

 

1. La corruption totale : L'homme a été créé entièrement saint. Mais s'étant détourné de Dieu sous l'inspiration du diable, et cela de sa libre volonté, ... il a attiré sur lui l'aveuglement, d'horribles ténèbres, la vanité et la perversité de jugement dans son entendement, la méchanceté, la rébellion et la dureté dans sa volonté et dans son cœur, de même que l'impureté dans toutes ses affections (III.1)

 

2. L'élection inconditionnelle : Du fait que tous les hommes ont péché en Adam, et se sont rendus coupables de la malédiction et de la mort éternelle, Dieu n’eût fait tort à personne s’il eût voulu laisser tout le genre humain dans le péché et la malédiction, et le condamner à cause du péché (I.1).

Quant à ce que Dieu donne en son temps la foi à certains et ne la donne point aux autres, cela procède de son décret éternel. Car le Seigneur fait ces choses connues de toute éternité (Ac 15.18) ; et : Il opère tout selon la décision de sa volonté (Ep 1.11).

Selon ce décret, Dieu amollit par grâce le cœur des élus, quelque durs qu’ils soient, et les fléchit à croire ; mais, par un juste jugement, il laisse ceux qui ne sont point élus dans leur méchanceté et leur dureté. C’est ici que se découvre principalement la profonde, miséricordieuse et pareillement juste distinction entre des hommes qui étaient également perdus ; ou encore le décret de l’élection et de la réprobation révélé dans la Parole de Dieu (I.6).

Cette élection-là s’est faite, non point en considération de la foi prévue, de l’obéissance de la foi, de la sainteté, ou de quelque autre bonne qualité ou disposition qui seraient la cause ou la condition préalablement requise en l’homme qui devait être élu ; mais au contraire, pour donner la foi, l’obéissance de la foi, la sainteté, etc. C’est pourquoi l’élection est la fontaine de tout bien salutaire, de laquelle découlent la foi, la sainteté et les autres dons salutaires, bref la vie éternelle même, comme les fruits et les effets de celle-ci, selon le dire de l’Apôtre : Dieu nous a élus (non parce que nous étions saints, mais) pour que nous soyons saints et sans défaut devant lui (Ep 1.4). (I.9).

 

3. L'expiation définie : Puisqu'il n’est point en notre puissance de satisfaire la justice de Dieu par nous-mêmes, ni de nous délivrer de Sa colère, Dieu, par sa miséricorde immense, nous a donné pour garant son Fils unique qui a été fait péché et malédiction sur la croix pour nous ou à notre place, afin de satisfaire la justice de Dieu pour nous (II.2). Au reste, la promesse de l’Évangile est : afin que quiconque croit en Jésus-Christ crucifié, ne périsse point, mais ait la vie éternelle. Et cette promesse doit être indifféremment annoncée et proposée à toutes les nations et à toutes les personnes auxquelles Dieu, selon son bon plaisir, envoie l’Évangile, et cela avec le commandement de se repentir et de croire (II.5). Tel a été le très libre conseil et la très favorable volonté et intention de Dieu le Père, que l’efficacité vivifiante et salutaire de la mort très précieuse de son Fils s’étendit à tous les élus, pour leur donner à eux seuls la foi justifiante, et par elle les amener infailliblement au salut. Autrement dit, Dieu a voulu que Jésus-Christ, par le sang de la croix (par lequel il a confirmé la nouvelle alliance), rachetât efficacement du milieu de tout peuple, de toute nation et de toute langue, tous ceux, et ceux-là seulement, qui de toute éternité, ont été élus au salut, et lui ont été donnés par le Père ; qu’il leur donnât la foi, qu’il leur a, aussi bien que tous les autres dons du Saint-Esprit, acquise par sa mort ; les purifiât par son sang de tout péché et originel et actuel, commis tant après qu’avant la foi ; les conservât fidèlement jusqu’à la fin, et finalement les fît comparaître devant lui, glorieux, sans aucune tache ni souillure (II.8).

 

4. La grâce efficace : Ce que ne peuvent donc faire ni la lumière naturelle ni la Loi, Dieu l'effectue par la vertu du Saint-Esprit, par le moyen de sa Parole ou du ministère de réconciliation, c'est-à-dire l'Evangile concernant le Messie (IV.6). Le secret de sa volonté, Dieu le dévoile à un beaucoup plus grand nombre de personnes (depuis) l'époque du Nouveau Testament. Cela ne peut être attribué qu'au bon plaisir de Dieu, qui est souverainement libre, et à son amour gratuit. C'est pourquoi, ceux auxquels est faite une si grande grâce, en dehors de tout mérite, doivent la reconnaître d'un cœur humble avec action de grâce (IV.7). Le fait que les autres [les croyants], qui sont appelés par le ministère de l’Évangile, viennent à Dieu et sont convertis ne doit point être attribué à l’homme, comme si, par son libre arbitre, il se distinguait lui-même d’avec les autres ; ce fait doit être attribué à Dieu qui, du fait qu’il a élu les siens de toute éternité en Christ, les appelle aussi efficacement en temps opportun, leur donne la foi et la repentance et, les ayant délivrés de la puissance des ténèbres, les transporte dans le Royaume de son Fils (IV.10). Ainsi donc, la foi est un don de Dieu, non parce qu’elle est offerte par Dieu au libre arbitre de l’homme, mais parce qu’elle est réellement conférée, inspirée et infusée en l’homme. Non pas même encore parce que Dieu donnerait seulement la puissance de croire, et qu’il attendrait ensuite que la volonté de l’homme y consente, ou croie de fait ; mais parce que lui-même qui opère et le vouloir et le faire, produit en l’homme et la volonté de croire et la foi elle-même (IV.14).

 

5. La persévérance des saints : Ceux que Dieu appelle selon son immuable dessein à la communion de son Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, et régénère par son Saint-Esprit, il les délivre vraiment de la domination et de la servitude du péché durant cette vie, mais pas entièrement de la chair et de ce corps de péché (V.1). De là vient que nous voyons journellement tant de péchés dus à notre faiblesse, et que les meilleures œuvres des saints ne sont jamais sans tache ; ce qui leur fournit continuellement l’occasion de s’humilier devant Dieu, d’avoir recours au Christ crucifié, de mortifier de plus en plus leur chair par l’esprit de prière et par de saints exercices de piété, et de soupirer après le but, qui est la perfection ; jusqu’à ce qu’étant délivrés de ce corps de péché, ils règnent au ciel avec l’Agneau de Dieu (V.2). À cause de ces restes de péchés qui habitent en nous, et des tentations du monde et de Satan, ceux qui sont convertis ne pourraient persister en cette grâce s’ils étaient laissés à leurs propres forces. Mais Dieu est fidèle : il les confirme miséricordieusement dans la grâce qu’il leur a une fois conférée, et les conserve puissamment jusqu’à la fin (V.3). Car Dieu, qui est riche en miséricorde, selon le dessein immuable de l’élection, ne retire point entièrement des siens le Saint-Esprit, même dans leurs tristes chutes ; et il ne permet pas qu’ils tombent au point de perdre la grâce de l’adoption et l’état de justification ou qu’ils commettent le péché qui conduit à la mort, à savoir contre le Saint-Esprit... (V.6).

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19 avril 2024

Quel fondement pour travailler ensemble ? (3)

 

 

 

Quel fondement pour travailler ensemble ? (3)

Quelle légitimité les Unions d'églises ont-elles  ?

 

Suite

 

Charles NICOLAS

 

 

Annexes

 

 

1. Quel fondement pour une collaboration féconde ?

 

Maurice Longeiret, Journal Nuance, avril 2019

 

1. Confirmer, par le témoignage intérieur du Saint-Esprit, que la Bible est tout entière Parole de Dieu (2 Tm 3.16).

Nous croyons que la Parole qui est contenue dans ces livres (de l'Ancien et du Nouveau Testament) a Dieu pour origine, et qu'elle détient son autorité de Dieu seul et non des hommes (Conf. de foi de La Rochelle, art. 5).

 

2. Confesser Dieu en tant que Père, Fils et Saint-Esprit et, notamment, que Jésus de Nazareth est la Parole de Dieu faite chair (1 Jn 2.23).

Nous croyons que Jésus-Christ, étant la sagesse de Dieu et son Fils éternel, a revêtu notre chair afin d'être Dieu et homme en une même personne et, en vérité, un homme semblable à nous, capable de souffrir dans son corps et dans son âme, ne différant de nous qu'en ce qu'il a été pur de toute souillure (art. 14).

 

3. Annoncer le salut acquis par le sacrifice expiatoire sur la croix par Jésus (1 Pi 3.18).

Nous croyons que par le sacrifice unique que le Seigneur Jésus a offert sur la croix, nous sommes réconciliés avec Dieu, afin d'être tenus pour justes devant lui et considérés comme tels (art. 17).

 

4. Prêcher la nécessité d'accueillir personnellement le salut offert (Ro 10.9).

Nous croyons que Dieu nous fait participer à cette justice par la foi seule, puisqu'il est dit que Jésus-Christ a souffert pour obtenir notre salut, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas (art. 20).

 

5. Vivre les enseignements de l'Evangile (2 Th 3.13).

Quant à l'Eglise véritable, nous croyons qu'elle doit être gouvernée selon l'ordre établi par notre Seigneur Jésus-Christ, à savoir qu'il y ait des pasteurs, des anciens et des diacres, afin que la pureté de la doctrine y soit maintenue, que les vices y soient corrigés et réprimés, que les pauvres et tous les affligés soient secourus dans leurs besoins, que les assemblées se tiennent au nom de Dieu, et que les adultes y soient édifiés, de même que les enfants (art. 29).

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2. Les anciens et les diacres

 

Les Réformateurs du XVIème siècle ont principalement retenu deux types de ministères : les anciens et les diacres. Y a-t-il un fondement néotestamentaire pour cela ? La réponse est oui. Paul s'adresse spécifiquement à eux au début de sa lettre aux Philippiens. Il précise les conditions qui doivent être remplies pour chacun de ces deux ministères au chapitre 3 de sa première lettre à Timothée. On remarque au passage que ces conditions sont assez semblables, hormis l'aptitude à enseigner qui n'est requise que pour les anciens.

Et les cinq ministères de la Parole ? Ils font partie des anciens, comme le dit Pierre (1 Pi 5.1). Et ceux que nous appelons les pasteurs, aujourd'hui ? Ils font normalement partie des anciens1. Y a-t-il des anciens autres que ces cinq-là ? Il est permis de le penser, notamment à la lumière de 1 Timothée 5.17 : tous doivent être aptes à enseigner, mais tous ne vont pas se consacrer (à plein temps) à cette tâche.

Et les diacres ? Ils sont mentionnés à côté des anciens comme conducteurs de l'église locale (Ph 1.1). Conducteurs au même titre que les anciens ? Non, mais conducteurs quand même, car ils ont acquis une autorité légitime et des domaines importants de la vie de l'Eglise leur sont confiés. Des domaines matériels ? Pas seulement, des domaines en lien avec l'assistance à apporter aux membres les plus vulnérables de l'Eglise, et donc en lien avec la communion fraternelle2.

Pourquoi, en France particulièrement, ces ministères d'anciens et de diacres ont-ils été tellement dévalués, quand ils n'ont pas simplement disparu ? L'histoire l'explique, qui pourrait faire l'objet d'un autre développement. A grands traits, on peut mentionner deux siècles de persécutions, un siècle dit des Lumières, un siècle de Concordat défini par l'Etat, un siècle de laïcité dans le moule profane des associations cultuelles...

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3. Juger ou ne pas juger ?

 

Nous avons souvent entendu qu'il ne fallait pas juger. Cela est écrit clairement dans le Nouveau Testament. Ne jugez pas afin que vous ne soyez pas jugés (Mt 7.1). Nous avons aussi remarqué que juste après cette injonction, Jésus donne la marche à suivre pour ôter la paille de l'œil de notre frère (7.5), avant de recommander de ne pas donner les choses saintes aux chiens (7.6). En Luc 6, l'appel à ne pas juger précède la question suivante : Un aveugle peut-il conduire un aveugle ? et encore cette leçon : Le disciple n'est pas plus grand que son maître, mais tout disciple accompli devient comme son maître. De tout cela, il n'est pas difficile de repérer l'intention du Seigneur : il y a une manière de juger qui est déplacée et qui va créer beaucoup de difficultés, et une manière de juger qui est absolument nécessaire. Le même terme grec est utilisé dans les deux cas.

Une des leçons est celle-ci : il faut une longue préparation personnelle associée à une démarche collégiale. Cela ressort de l'expérience de Moïse : sa précipitation (Ex 2.11-15) a été catastrophique ; il lui faudra quarante années d'apprentissage dans le désert et l'avertissement de Jéthro : Tu ne pourras y arriver seul, choisis des hommes sages qui puissent juger avec toi (Ex 18.21-22).

Les apôtres diront cela souvent : Devenez des adultes ! Frères, ne soyez pas des enfants pour ce qui est du jugement. Soyez des hommes faits ! (1 Co 14.20). Ici, être un enfant, c'est juger n'importe comment ; être adulte, c'est exercer un jugement fiable. Il y a donc deux écueils à éviter : celui d'agir trop vite, impulsivement, et celui de ne plus intervenir... pour ne pas se tromper.

Quand Jésus dit de ne pas juger en Luc 6, il utilise juste après le verbe condamner (v. 37). Paul associe les verbes juger et mépriser : Pourquoi juges-tu ton frère, pourquoi le méprises-tu, puisque nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Christ ? (Ro 14.3, 10). Mais quand Jésus ajoute qu'un arbre se reconnaît à ses fruits (Lc 6.44), il montre que juger n'est pas nécessairement mépriser : c'est peut être aussi exercer un discernement élémentaire3. Cela concerne-t-il tous les chrétiens : La réponse est oui. Examinez toutes choses et retenez ce qui est bon, commande l'apôtre Paul à tous (1 Th 5.21).

 

L'Evangile de Jean utilise le verbe juger d'une manière qui peut paraître contradictoire :

- Dieu n'as pas envoyé son Fils pour qu'il juge le monde, mais pour le sauver (3.17) ;

- Celui qui croit en lui n'est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé (3.18).

Cela situe l'action de juger (se prononcer sur quelqu'un) dans la perspective de Dieu :

  • d'une part, il ne faut pas juger car Dieu seul le peut. Qui suis-je moi pour le faire justement ?

  • d'autre part, si Dieu le peut, c'est donc une action juste et nécessaire qui peut m'être confiée, pour autant que je sois à ma juste place et puisse agir dans sa lumière.

Paul affirme que toute action doit pouvoir être jugée dans l'Eglise : Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde ? Et si c'est par vous que le monde est jugé, êtes-vous indignes de rendre les moindres jugements ? Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? Et nous ne jugerions pas à plus forte raison des choses de cette vie ? Ainsi, il n'y a pas parmi vous un seul homme sage qui puisse prononcer entre ses frères ? (1 Co 6.2-5).

La question n'est donc pas : Faut-il juger ou s'abstenir ? La question est : Comment remplacer les jugements charnels (laxistes ou intransigeants) par des jugements spirituels exercés de la part de Dieu ?4

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4. Quelques remarques sur les confessions de foi

 

d'après Henri Blocher

 

La problématique : Est-ce que la Bible fournit un fondement solide pour confesser sa foi ?

Henri Blocher distingue :

  • Confession de la Foi : c’est un credo. On affirme : je crois. Le mot confession peut se traduire par « dire de même, parler comme ». Le Nouveau Testament encourage les chrétiens à répondre : je crois, à la parole de leur salut. J’affirme que Jésus est mon Seigneur et je le glorifie.

 

  • Confession de foi : C’est une liste de textes plus élaborés, un résumé doctrinal faisant autorité dans l’Eglise. Elle a un rôle disciplinaire : elle permet de délimiter un accord indispensable à la pleine communion dans l’Eglise, de sauvegarder la paix et la liberté fraternelles. Paul écrit dans les épîtres à Timothée pour lutter contre les fausses doctrines. Il distingue ce qui est fondamental pour marcher d’un même pas, et ce qui est secondaire (il y aura une tolérance fraternelle dans la marche commune)

 

Pour la confession de foi, comme pour la confession de la foi, Henri Blocher affirme que le Nouveau Testament nous fournit, par son exemple et par quelques mentions, un fondement très suffisant.

Il évoque ensuite quelques objections : La confession de foi peut devenir une doctrine qui enferme. Comme les pharisiens très formalistes s’attachaient à la lettre, aux textes, la confession pourrait nous faire perdre notre liberté et notre intelligence. Henri Blocher répond que dans la Bible, il n’y a pas d’opposition entre l’enseignement de Jésus et sa vie, entre la vie et la doctrine. La discipline de la doctrine s’applique en premier lieu à ceux qui ont été chargés du ministère d’enseignement dans l’église. Dieu donne le sens, il règne sur notre intelligence. La passion de la vérité est essentielle à la foi, et ce n’est ni une prétention personnelle ni une satisfaction de supériorité.

Henri Blocher est très affirmatif : « Le Seigneur commande à ses disciples le courage de la différence et le courage de la conséquence… ». Je vois le rôle disciplinaire de la Confession de foi comme l’arête de cette différence ; elle tranche dans le vif des relations entre les personnes et les intérêts institutionnels.

Notes prises par Anne Curie.

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5. Déclaration de foi de l'alliance évangélique européenne (1846)

 

Nous croyons :

. Que l’Écriture Sainte est la Parole infaillible de Dieu,

autorité souveraine en matière de foi et de vie.

 

. En un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit de toute éternité.

 

. En Jésus-Christ notre Seigneur, Dieu manifesté en chair,

né de la vierge Marie ; à son humanité exempte de péché,

ses miracles, sa mort expiatoire et rédemptrice,

sa résurrection corporelle, son ascension, son œuvre médiatrice,

son retour personnel dans la puissance et dans la gloire.

 

. Au salut de l’homme pécheur et perdu,

à sa justification non par les œuvres mais par la seule foi,

grâce au sang versé par Jésus-Christ notre Seigneur,

à sa régénération par le Saint-Esprit.

 

. En l’Esprit Saint qui, venant demeurer en nous,

nous donne le pouvoir de servir Jésus-Christ,

de vivre une vie sainte et de rendre témoignage.

 

. À l’unité véritable dans le Saint-Esprit de tous les croyants

formant ensemble l’Église universelle, corps de Christ.

 

. À la résurrection de tous :

ceux qui sont perdus ressusciteront pour le jugement,

ceux qui sont sauvés ressusciteront pour la vie.

 

L’Alliance Évangélique croit sans réserve aux doctrines fondamentales exprimées dans sa Déclaration de foi. Elle accueille ceux qui professent ces doctrines et s’y conforment par la pratique, en vue d’une collaboration active au service de notre Seigneur Jésus-Christ, malgré les différences d’opinion qui peuvent subsister sur d’autres points de doctrine ou d’organisation ecclésiastique ; elle obéit aux commandements de l’Écriture en renonçant à toute collaboration avec l’incrédulité ou l’apostasie qui éloignerait de ces doctrines ; elle reconnaît, dans le cadre de l’Alliance, la complète autonomie de ses membres, et s’interdit d’intervenir dans l’organisation ecclésiastique des églises ; elle se consacre à la réalisation d’un programme d’entraide mutuelle dans la propagation de l’Évangile, la défense des libertés chrétiennes et la recherche de solutions aux problèmes d’intérêt général.

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Notes :

1Voir en annexe ce que dit la Discipline des Eglises réformées évangéliques sur les anciens et les pasteurs.

2Voir en annexe ce que dit la Discipline des Eglises réformées évangéliques sur les diacres.

3Romains 13 rappelle que le magistrat – même non chrétien – a reçu une délégation et une autorité pour approuver ceux qui font le bien et châtier ceux qui font le mal.

4L'application peut se faire aisément au niveau de la charge parentale qui est, à bien des égards, paradigmatique. Si les enfants doivent obéir à leurs parents (Ep 6.1), ceux-ci doivent constamment juger de ce qu'il faut demander ou exiger : chaque enfant est différent, chaque étape de sa croissance est particulière. De plus, en cas de désobéissance, les parents devront juger de la correction appropriée. Nous savons que c'est là une charge aussi délicate qu'importante, qui est constitutive de l'amour que les parents doivent à leurs enfants. Mais nous nous souvenons également que l'autorité conférée aux parents a une limite : « Pères, n'irritez pas vos enfants » (6.4). Ainsi, la référence à Dieu tout à la fois justifie l'autorité des parents et y place une limite.

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18 avril 2024

Quel fondement pour travailler ensemble ? (2)

 

 

Quel fondement pour travailler ensemble ? (2)

Quelle légitimité les Unions d'églises ont-elles  ?

 

(suite)

 

Charles NICOLAS

 

 

4. Quel fondement ?

 

Le fondement n'a pas à être inventé. Vous avez été édifié sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre angulaire (Ep 2.20). Nul d'entre nous n'a reçu le mandat d'en poser un autre ! Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, savoir Jésus-Christ (1 Co 3.11)8. Cette parole est importante, mais que signifie-t-elle exactement ? Tous les chrétiens ne croient-ils pas en Jésus-Christ ?

Ici il faut, je crois, évoquer la nécessité d'un certain travail théologique et la place des confessions de foi. Pour notre époque éprise de subjectivité, cela est regardé avec suspicion. Plusieurs diront même que tous les problèmes viennent de là : supprimons la théologie et les confessions de foi (et les pasteurs) et tout ira pour le mieux. Est-ce vrai ? Rien n'est moins sûr. Ce n'est pas parce qu'on supprimerait les garagistes que les voitures ne tomberaient pas en panne. Certes, la révélation vient de Dieu. Et la foi aussi ! Mais, nous l'avons dit, il revient aux hommes de le gérer, comme tout ce que Dieu nous donne. Là intervient une véritable responsabilité : en premier lieu pour les conducteurs et les enseignants, en second lieu pour chacun et pour tous, à qui il revient de garder ce qui est juste9. Délaisser cette responsabilité ne nous fera guère avancer. Et la sincérité ? La sincérité est importante, mais elle ne suffit pas, sinon Paul ne mentionnerait pas la nécessité de corriger à partir de l'Ecriture (2 Tm 3.16).

Une confession de foi n'a d'autre objectif que de proposer un résumé des axes essentiels de la révélation de Dieu dans l'Ecriture sainte. Mais pour cela, encore faut-il qu'il y ait des axes essentiels qui traversent l'Ecriture10. Est-ce le cas ? De toute évidence, oui. Il revient au travail théologique, éclairé par le Saint-Esprit, de dégager ces axes dans le respect des textes et de la révélation biblique prise dans son ensemble11. Jean Calvin le dit ainsi : Toutes les doctrines sont importantes, mais toutes ne sont pas aussi importantes. Comment les distinguer les unes des autres ? La Bible elle-même le montre, par des répétitions ou par des formules qui introduisent de toute évidence un résumé, un condensé, une clé de ce que Dieu a révélé. Jésus le montre quand, par exemple, il résume toute la loi en deux commandements.

 

5. Quelques propositions

 

Certains s'étonneront de ne pas voir mentionnées des questions sensibles comme celles du baptême ou de l'eschatologie, des dons spirituels ou du ministère pastoral féminin. Ces questions sont-elles sans importance ? Pas du tout. Mais tout importantes qu'elles soient, elles sont secondes par rapport à d'autres et ne sont pas forcément séparatrices. Elles sont séparatrices quand elles sont haussées au niveau des doctrines premières ou quand elles se développent indépendamment des doctrines premières.

 

Je mentionne ici quelques textes de référence de premier ordre :

Il y a bien sûr les Symboles œcuméniques que sont le Symbole des apôtres (ou Credo) et le Symbole de Nicée-Constantinople (an 325). Ces textes, avec leurs possibles maladresses, disent le contenu objectif de la Foi dans ses axes majeurs. Ils n'abordent pas tous les sujets, mais ils disent succinctement l'essentiel sur l'essentiel. Nourrir des doutes sur ces énoncés expose à des risques et devrait créer une alerte sérieuse.

Ce que disent principalement ces textes, c'est le caractère central de la personne et l'œuvre de Jésus-Christ. Trois points doivent être confessés sans restriction : la naissance virginale de Jésus-Christ, sa mort expiatoire, sa résurrection corporelle. Sans accord sur ces trois points, on ne parlera pas de la même chose ; aucune collaboration véritable ne sera donc possible.

 

Les Cinq Soli de la Réforme : Sola Scriptura, Solus Christus, Sola Fide, Sola gratia, Soli Deo Gloria. Ces cinq proclamations peuvent certes être situées dans le contexte historique du XVIème siècle ; elles demeurent centrales aujourd'hui. Elles peuvent faire l'objet de réflexions communes, mais les relativiser devrait créer une alerte sérieuse.

 

Plus récente (1846) est la Déclaration de foi de l'Alliance évangélique12. Elle permet à des chrétiens de sensibilités différentes de se reconnaître comme frères et sœurs dans la foi, de s'enrichir mutuellement et d'œuvrer ensemble. Cela est fort précieux13.

 

D'autres textes plus développés ont acquis à juste titre le statut de textes de référence : la Confession de foi de La Rochelle (1559), le Catéchisme de Heidelberg (1563), les Cinq points du Synode de Dordrecht (1574)14, les Textes de Westminster15 (1646). Plus récemment, la Déclaration de Chicago (1998) aborde un grand nombre de points importants de doctrine et de vie chrétienne, avec sa formulation incisive : Nous affirmons... ; en conséquence, nous rejetons...

Ces textes, écrits dans des contextes différents du nôtre, ne vont-ils pas nous faire perdre du temps ? Je crois qu'ils vont nous faire gagner beaucoup de temps. Mais ne sont-ils pas éloignés des problématiques propres à notre époque ? En tant qu'ils sont un reflet assez fidèle de la révélation biblique, ils traitent de matières qui ne varient pas. Ils apporteront aujourd'hui, comme ils l'ont fait en d'autres temps, un éclairage et un secours précieux. Peuvent-ils alors se substituer à cette Ecriture sainte ? En aucun cas !

A suivre.

 

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Notes : 

 

8Ce fondement est sans doute évoqué quand Paul exige des diacres (et a fortiori des anciens) qu'ils conservent le mystère de la foi dans une conscience pure (1 Tm 3.9). La formulation paraît énigmatique, mais ces mêmes termes se retrouvent ailleurs chez Paul. Il s'agit de la réception, dans des cœurs touchés par la grâce, de l'Evangile tel qu'il a été révélé par le Saint-Esprit dans l'Ecriture. On est proche de l'expression de Jude : la Foi transmise aux saints une fois pour toutes (Jude 3), le mot foi ne désignant pas seulement l'élan (subjectif) de la foi mais aussi le contenu (objectif) de la Foi.

9Voir l'annexe 3 : Juger ou ne pas juger ?

10Voir l'annexe 4 : quelques remarques d'Henri Blocher sur l'utilité des confessions de foi.

11On se référera utilement au livre de James Hely Hutchinson : Sacrés désaccords ! (BLF, 2023). « Une méthode pour trier mes convictions quand d'autres chrétiens ne croient pas comme moi ».

12Voir ce texte dans l'annexe 5.

  • 13Le Conseil national des Evangéliques de France (CNEF) fonde son unité doctrinale sur la Déclaration de foi de l’Alliance évangélique (1846), la Déclaration de Lausanne (1974), le Manifeste de Manille (1989) et l’Engagement du Cap (2010).

14Voir en annexe 6. une brève présentation de ces cinq points.

15Avec sa version baptiste de 1689.

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17 avril 2024

Quel fondement pour travailler ensemble ? (1)

 

 

 

Quel fondement pour travailler ensemble ? (1)

 

Quelle légitimité les Unions d'églises ont-elles  ?

 

Charles NICOLAS

 

 

Il ne s'agit pas ici de définir les contours de l'Eglise – ce que ne cherche à faire aucune dénomination, d'ailleurs. Il s'agit de formuler les conditions pour un travail et un témoignage communs, la base qui permettrait d'honorer tout à la fois la teneur de la révélation biblique dans ses axes majeurs et les défis du temps présent1.

 

1. Le constat

 

1. La plupart des dénominations actuelles sont nées dans des contextes qui n'existent plus ou qui ont considérablement évolué. Bien qu'elles aient évolué elles aussi, elles demeurent marquées par leur origine et connaissent des problèmes d'identité et donc de vocation. Elles réunissent des églises locales, des responsables d'églises et des chrétiens qui ne sont pas toujours accordés sur une base claire et féconde, ce qui a pour effet une importante déperdition d'énergie et trop peu de pertinence2.

 

2. En quelques décennies, le contexte socio-culturel dans lequel nous vivons a considérablement changé. Les références chrétiennes, connues pendant des siècles, y compris par ceux qui n'y adhéraient pas, sont maintenant bafouées ou tout simplement ignorées par la majeure partie de la population de nos contrées, notamment par les personnes influentes (média, éducation, etc.)3. C'est un constat unanimement partagé, mais dont nous n'avons pas encore tiré toutes les leçons. Des défis nouveaux s'imposent, auxquels nous ne sommes pas nécessairement préparés.

 

3. Dans ce contexte, deux tentations se présentent naturellement : la recherche du consensus et la radicalité.

 

- La recherche du consensus est le choix de l'humanisme, de l'universalisme, du multitudinisme, du pluralisme, du relativisme, du subjectivisme, de l'inclusivisme. Ce ne sont que des mots, mais ils décrivent l'inclinaison (naturelle ou contrainte) d'un très grand nombre de personnes aujourd'hui, y compris au sein des Eglises. La base d'accord est généralement réduite à une formule minimale, mal définie, du genre : Nous avons besoin de spiritualité, ou : Tous les hommes sont frères4.

 

- La radicalité peut être le choix d'un protectionnisme, d'un séparatisme, d'un complotisme, d'un élitisme, d'un essentialisme. Le but, alors, n'est pas d'abord d'être nombreux mais d'être fidèles à des principes communs. La base d'accord est généralement bien définie, contenue dans quelques formules claires, pas toujours fondamentales, tout à la fois rassembleuses et excluantes. Nous connaissons des personnes et des milieux qui portent cette préoccupation, avec la tentation de se croire les seuls défenseurs de la vérité. Plus je me sépare, plus je suis fidèle...

 

4. Ces deux réactions naturelles se trouvent dans la société et dans l'Eglise. En un sens ce n'est pas étonnant. Certains privilégient les relations, d'autres les principes, c'est bien connu. Cela pose question cependant, car on pourrait en déduire que les jugements s'exercent principalement en fonction de critères tout humains : qu'est-ce qui correspond le mieux à mon tempérament, à mes valeurs, à ma vision, à l'urgence perçue, ressentie.

 

Une question se pose : la prédication est-elle en mesure de débusquer et, quand il le faut, de déloger les principes et les réflexes naturels que nous avons hérités de nos pères (1 Pi 1.18), de nos circonstances, de notre culture ? On pourrait en douter parfois. En d'autres termes, comment conjuguer l'unité (le consensus ?) et la fidélité (la radicalité ?) d'une manière qui soit proprement chrétienne, c'est-à-dire conforme à l'enseignement de l'Ecriture pris dans sa globalité et réellement centrée sur Jésus-Christ ?

 

2. Tous sont-ils apôtres ou prophètes ou docteurs ?

 

En rappelant la réalité du sacerdoce commun des croyants – c'est-à-dire le ministère de chaque chrétien – les Réformateurs du XVIème siècle n'ont pas aboli les ministères établis qui ont la charge du gouvernement des églises, principalement les ministères d'ancien et de diacre. L'Ecriture tout entière montre qu'il ne s'agit ni d'exagérer ni de minimiser l'importance de ces ministères ordonnés qui veillent sur nos âmes comme devant en rendre compte (Hé 13.17) et qui seront jugés plus sévèrement (Jc 3.1)5.

 

L'action souveraine de Dieu et la participation de chaque chrétien sont-elles amoindries par l'engagement des ministères ordonnés ? Normalement non ! L'apôtre Paul rappelle leur vocation spécifique : l'équipement des saints, jusqu'à ce que nous soyons tous parvenus à l'unité de la foi (Ep 4.10-13)6. Professer la vérité dans l'amour (4.15) sera le signe de la maturité ; on ne peut choisir entre les deux.

 

Quels sont les ministères attachés à l'enseignement ? Ils sont quatre ou cinq (selon qu'on dissocie ou pas les deux derniers) : apôtres, évangélistes, prophètes, pasteurs et docteurs. Apparaît-il qu'ils ne soient donnés que pour un temps ? Certains le pensent, qui voient dans l'achèvement du canon de l'Ecriture (après la mort du dernier apôtre désigné par Jésus-Christ) ce qui va garantir l'unité de la foi. Cet argument n'est pas insensé : personne ne se hasarderait à ajouter un chapitre à la révélation biblique. Cet argument est-il pleinement convaincant ? Pas sûr. Pour l'heure, il est donc prudent de considérer que ces ministères-là, dont les missions conjointes ont une telle importance, demeurent. Bien des livres s'attachent à définir leurs vocations respectives ; je ne le fais pas ici.

 

3. Des équipes de ministères

 

La notion d'équipe de ministères apparaît assez clairement dans l'Ecriture. Il est probable que nous gagnerions à la restaurer si nous désirons autre chose qu'entretenir ce qui existe déjà ou nous lancer dans des aventures hasardeuses. Nous n'imaginons pas des soldats (ni même des ouvriers) agir seuls ou en ordre dispersé.

 

Selon le conseil de Jéthro, Moïse a choisi parmi le peuple des hommes capables et craignant Dieu, intègres et ennemis de la cupidité, et les a établis sur le peuple comme chefs de mille, chefs de cent, chefs de cinquante et chefs de dix (Ex 18.21). C'est l'origine du ministère des anciens. Ces hommes agissaient-ils chacun de son côté ? C'est peu probable. Etaient-ils alors tous et en tous temps réunis ? Pas nécessairement.

 

Dans ce sens, nous voyons Jésus être parfois seul, être entouré de trois disciples ou des douze, ou des soixante-dix. Ces soixante-dix, Jésus les envoie deux à deux (Lc 10.1). A chaque format pouvait correspondre un mode de communication et un engagement particulier. S'agissait-il d'une hiérarchie ? Pas à proprement parler. Plutôt de cercles concentriques forgés sur la base d'un accord. Nous voyons Paul enseigner Timothée, puis charger Timothée et Tite de nommer des anciens et de les reprendre quand il le fallait. La règle d'égalité ne nivelait pas tout. Chacun devait rendre compte.

 

Dans ce sens encore, l'apôtre Paul, accompagné de Barnabas, prend avec lui Marc (Ac 12.25). Puis, un désaccord survenant, ils se séparent, Barnabas prenant Marc avec lui, tandis que Paul prend Silas comme compagnon d'œuvre (15.39-40). Etait-ce par esprit de division ? Non, ils ont demandé la prière des frères avant de partir. Etait-ce au détriment de l'unité de l'Eglise ? C'était tout simplement se donner les moyens de mettre en pratique la règle de l'accord. Si deux s'accordent... ce n'est pas n'importe quoi ; et on le fait à deux ou à cinq autrement qu'à 20 ou 30.

 

Jean Calvin considérait que deux conditions devaient être réunies pour que la Réforme progresse : l'unité doctrinale au sein du corps pastoral et l'engagement pastoral des anciens7. Cela mérite d'être retenu avec attention. Rappelons ici que l'engagement pastoral inclut la veille et l'application doctrinales. Les doctrines ne sont certes pas le tout de la foi, mais il n'y a pas de foi sans fidélité doctrinale. Que servirait-il de croire de tout son cœur quelque chose de faux ? (1 Co 15.1-2).

 

A suivre

_________________________

 

Notes :

 

1Le pasteur Maurice Longeiret a proposé une semblable réflexion intitulée Cinq fondements pour une collaboration féconde, publiée dans le journal Nuance en mars 2009. Cela se situait dans le cadre d'une démarche nationale entre l'ERF et les EREI, appelée Pour une réconciliation des mémoires. Je résume cette page de M. Longeiret en annexe.

2On peut mentionner à titre d'exemple l'union qui s'est constituée en 2004 entre les églises méthodistes du Midi de la France (congrégationalistes) et celles de l'Est de la France (épiscopales) : elles portaient le même nom, mais n'avaient pas la même origine ni le même fonctionnement, ni les mêmes réseaux de relation... Cette Union s'est défaite en 2023.

3J'ai abrégé en quelques pages le livre de Jean-François Braunstein, La religion woke (Grasset 2022). Disponible.

4On se souvient de la manifestation Protestants en fêtes organisée en 2017 à Strasbourg par la Fédération protestante de France. Le thème en était : Les fraternités. Il s'agissait de faire danser ensemble toutes les fraternités : en humanité, religieuses, citoyenne, chrétienne... On y parlait de fraternité XXL : mieux que la Bible !

5Voir l'annexe 2 sur les anciens et les diacres. Voir aussi, dans le même esprit que celui-ci, le texte intitulé Des pasteurs et/ou des anciens ?

6Le mot équipement est important (plutôt que perfectionnement) car il a une portée communautaire et vise l'engagement fidèle de chacun dans son service en vue de l'unité et de la maturité. L'unité des chrétiens, c’est le Seigneur qui en est le garant, comme en témoigne sa prière (Jn 17.21). Il revient cependant à chaque chrétien d'y contribuer, de participer à sa manifestation (Ro 12.6-8 ; 1 Co 12.4-11 ; 1 Pi 4.10).

7Jean-Marc Berthoud, Calvin et la France. Genève et le déploiement de la Réforme au XVIème siècle (1999).

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15 avril 2024

Se laisser intimider ?

 

 

Ne nous laissons pas intimider !

  

 

Il ne suffit pas de chanter des cantiques. On nous attend à la sortie ! Certains rêvent de voir l'expression de la foi confinée dans les lieux de culte et l'espace clos de nos maisons. Pour cela, ils vont user de divers moyens d'intimidation comme la moquerie, la dérision, la caricature, l'invocation de la loi, les statistiques, etc. Ils feront parfois montre d'une telle assurance qu'il semblera difficile de répondre quoi que ce soit. Comment rendre témoignage quand c'est difficile ?

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Cela peut se produire à tout moment : au cours d'un repas, sur le trottoir, avec des collègues de travail, avec nos enfants adolescents... Le risque est grand de regretter ensuite de n'avoir rien dit, ou... d'avoir été maladroit, impulsif.

Bien sûr, le Saint-Esprit peut nous guider dans nos pensées et nos paroles, comme le dit Jésus (Mc 13.11), car il peut bien s'agir d'une forme de procès, parfois. Mais cela n'empêche pas d'y réfléchir à l'avance !

 

Ai-je bien compris ce que tu as dit ?

 

Quand un désaccord survient, cela peut être pour plusieurs raisons. Une de ces raisons, c'est qu'on s'est mal compris : on a parlé trop vite, on a employé des mots ou des expressions qui avaient un sens différent pour les uns et pour les autres. Peut-on définir certains mots ou expressions qui ont été employés ? Que veux-tu dire par là ?

Pour un vrai dialogue, nous pouvons rappeler qu'il n'est pas juste de considérer que le problème, voire la faute, se situeraient nécessairement d'un seul côté. On n'est justement pas dans un procès ! Je veux bien écouter et remettre en question telle ou telle manière de penser, mais cela doit être vrai également pour mon contradicteur. Il n'est pas mon maître, je ne suis pas son enfant. La moquerie ou la dérision ne devraient pas avoir leur place dans cet échange. S'il te plaît, parlons sérieusement.

Il serait souvent sage d'admettre qu'un seul échange n'est pas suffisant pour faire sérieusement le tour de la question. Aller trop vite empêche d'atteindre le but. Si cela est matériellement possible, peut-on envisager deux rencontres, ou mieux trois ? J'aimerais creuser cette question avec toi. Peut-on se revoir pour en parler tranquillement ?

Il est souhaitable, avant d'être écouté, d'écouter ce que l'autre a à dire. S'il se sait écouté – et pas immédiatement contredit – il est probable qu'il s'exprimera de manière apaisée. Ecouter signifie ne pas interrompre, si ce n'est pour poser une question en vue de mieux comprendre, réellement mieux comprendre ce qui a conduit notre contradicteur à la position qui est la sienne : une expérience vécue, une rencontre marquante, une lecture... Il y a une manière de poser des questions qui honore la personne. Que veux-tu dire par là ? Pourquoi dis-tu cela ? Es-tu sûr de ce que tu avances ? L'écoute vraie est rare.

 

Jusque-là je suis d'accord

 

Reconnaissons ce qu'il y a de juste dans ce qui nous est dit. Là, je suis d'accord avec toi. Tout en sachant qu'une affirmation juste peut se situer dans un raisonnement fallacieux. En d'autres termes, tout n'est pas forcément entièrement faux ou entièrement juste. Souvent, c'est juste jusqu'à un certain point ; après cela ne l'est plus. On peut le faire remarquer.

Une fois cette étape traversée (cela suffira peut-être pour une première rencontre), on peut demander l'autorisation d'exprimer maintenant notre pensée. Il est souhaitable de progresser par étape, en s'assurant que l'on est compris. Ne courons pas tout de suite aux conclusions définitives.

Ces précautions permettront sans doute d'apporter de la lumière et, en conséquence, de mieux comprendre les raisons du désaccord ou de l'antagonisme : des parcours différents, des présupposés (on dit des biais cognitifs, parfois) différents, et en conséquence une compréhension différente de certaines notions comme la laïcité, l'amour, l'égalité, etc.

Parfois, il faudra seulement prendre acte de ces différences qui, dans certains cas, ne vont pas permettre de s'accorder et d'aller plus loin... pour le moment. Si on a été bienveillant, le moment viendra peut-être où notre contradicteur souhaitera un nouvel échange. Dieu est patient ; nous pouvons l'être aussi.

 

L'amour ne dit pas oui à tout

 

Cette manière d'échanger signifie-t-elle que l'on acquiesce à tout ce qui est dit ? La réponse est non. On peut dire qu'on ne comprend pas ou même qu'on ne peut pas être d'accord. Parfois cela touchera des points secondaires, parfois des points importants. Mieux vaut le dire paisiblement.

Beaucoup de désaccords ou d'oppositions sont nourris de sentiments d'amour propre. Sans acquiescer quand il ne faut pas le faire, il est possible d'exprimer un désaccord en ménageant l'amour propre de la personne, c'est-à-dire sans l'humilier, sans idée de victoire. En disant par exemple : Je ne peux pas te suivre sur ce point, mais j'ai entendu ce que tu as dit et je vais y réfléchir. Peut-on en reparler une autre fois ?

En tant que chrétiens, nous sommes témoins de la vérité que Dieu a révélée. Seulement témoins ! La puissance est dans la vérité énoncée : je peux donc la formuler doucement. Si la personne est sincère, Dieu lui-même confirmera dans son cœur ce qui relève de la vérité et ce qui relève d'un mensonge. En un sens, cela ne dépend pas de moi.

L'amour se réjouit de la vérité (1 Co 13.6). Nous devons aussi nous souvenir que la vérité et l'amour vont ensemble (Ep 4.15). Aimer n'implique pas de dire oui à tout ! Aimer ne cherche pas à plaire (Ga 1.10). Jésus ne l'a pas fait. Mais aimer offre des occasions d'avancer. C'est pour cela que la vérité est convoquée !

Parmi les arguments qui nous seront avancés par le contradicteur, plusieurs peuvent être déstabilisants, piégeux. Il est sage de ne pas répondre avec précipitation. Dans ce genre de situation, Jésus a souvent répondu en posant à son tour une question (Mt 21.24). Mieux vaut un rythme d'échange lent, qui ne cède pas à l'émotion.

Enfin, nous savons qu'on ne s'adresse pas à un groupe comme on s'adresse à une personne seule. Dans un groupe chacun cherche à impressionner les autres, parfois par des moyens peu raisonnables. Face à un groupe, sans doute est-il quand même important de dire quelque chose, car parmi les personnes présentes – qui se taisent ou même qui se moquent – il peut bien s'en trouver qui soient plus réceptives qu'il n'y paraît. Mais on évitera les disputes qui ne mènent à rien, comme dit Paul (2 Tm 2.14, 16 ; Ti 3.9). On peut dire par exemple : Ce sujet est beaucoup trop délicat pour en parler légèrement, avec des slogans. Mais je suis prêt à y réfléchir sérieusement quand vous le voulez. En disant cela, on hausse le niveau et on offre à qui le voudra la possibilité d'aller plus loin, si possible seul à seul ou en plus petit groupe.

 

Répondre ou rétorquer ?

 

J'imagine maintenant quelques échanges à partir d'arguments déstabilisants. Evidemment, le ton avec lequel nous nous exprimerons est important. Conviction et humilité peuvent aller ensemble.

 

Ce que tu dis appartient au passé ! Pourquoi dis-tu cela ? Penses-tu que tous ceux qui ont réfléchi à cela avant nous étaient des sots ? Ne crois-tu pas qu'il y a des réalités, des principes qui demeurent inchangés quelle que soit l'époque ? Une Amanite phalloïde n'est pas devenue comestible par le seul fait qu'on soit au XXIème siècle. Si l'univers subsiste, c'est qu'il obéit à des lois qui demeurent inchangées. Cela est également vrai dans le domaine moral. On ne peut pas jouer avec cela à notre guise.

 

Aujourd'hui, plus personne ne pense comme toi ! Tu crois donc que je suis le seul à penser comme cela ? Détrompe-toi ! Par ailleurs, ce qui est juste n'est pas une affaire de statistique. Les statistiques sont comme les modes et le temps qu'il fait : elles évoluent sans cesse. Je ne les ignore pas, mais je ne m'y fie pas. Pour diriger ma vie, je cherche des éléments plus fiables !

 

C'est ton avis, mais chacun a le sien (et donc garde le tien pour toi). Ecoute, jusqu'à présent, on a le droit de s'exprimer. Je n'impose rien à personne. Si j'exprime ma pensée, ce n'est pas pour le plaisir de contredire, c'est parce que je crois que c'est utile. Chacun, ensuite, assume ses choix. Par contre, je ne crois pas que tout soit indifférent, que tout revienne au même. Il y a des conséquences qui, dans certains cas, seront importantes. C'est pourquoi il est important de continuer à réfléchir, à s'écouter mutuellement.

 

Tu sais, la science a démontré... Parfois la science démontre, souvent elle suppose, en tâtonnant. Tous les jours on peut voir des certitudes scientifiques être remises en cause et parfois démenties. Ça évolue sans cesse, et pas toujours dans le même sens ! La science est souvent pointue sur un domaine donné, mais elle prend rarement en compte l'ensemble des données. Je me méfie des scientifiques trop sûrs d'eux. Un scientifique sérieux est généralement assez modeste. Derrière les discours scientifiques, il y a aussi des partis pris, des opinions, des idéologies, des modes, des intérêts. Prudence avec tout cela !

 

En quoi cela te gène-t-il, si on ne t'oblige pas à faire de même ? Simplement je ne suis pas indifférent à ce qui se passe autour de moi. Je n'impose rien, mais je ne vis pas dans le 'chacun pour soi'. Donc, si je pense qu'un choix est erroné ou dangereux, je le dis. Je crois aussi que chaque être humain a une conscience et qu'aujourd'hui beaucoup de discours soi-disant émancipateurs écrasent les consciences. Les fruits, en fin de compte, seront amers. Il me semble important de le dire, alors.

 

Qu'est-ce qui te permet de juger les autres ? Tu sais, juger est quelques fois déplacé et quelques fois nécessaire. Pour reprendre l'image des champignons, si on t'apporte un plateau de champignons qui n'ont pas été triés, je ne crois pas que tu mettras tout cela dans ta poêle. Tout ne revient pas au même. Il y a des opinions ou des réalités qui paraissent plaisantes dans un premier temps et qui s'avèrent mortelles ensuite. Je dois te dire aussi que dans cette évaluation, je ne me fie pas qu'à moi-même. J'écoute ce que disent les autres, je lis. Souvent aussi je suis amené à me souvenir de ce que la Bible dit sur un grand nombre de sujets. Son réalisme est vraiment saisissant. Si Dieu dit qu'une chose est juste, je suis tenté de le croire. S'il dit qu'elle n'est pas juste, je le crois aussi. Cela me paraît bien sage. Et je ne crois pas que cela soit contraire à la vie, et même à la joie. Bien au contraire, en fait.

En tant que chrétiens, nous savons que l'intelligence concerne aussi le cœur. Cela n'exclut pas les sentiments et les raisonnements, mais cela va plus loin. A cet égard, le Psaume 119 constitue un remarquable témoignage. Mieux vaut pour moi la loi de ta bouche que mille objets d'or ou d'argent (119.72). Ne nous laissons pas intimider. 

Ch.N.

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12 avril 2024

La réflexion éthique et la loi sur la fin de vie (2)

 

Annexes

correspondant à l'article précédent

1. La question du désir et du refus de la mort

J. Alric, J-P Bénézech, La mort ne s’affronte pas

« Il arrive que l’humain en souffrance d’exister jette un regard furtif vers la mort... Les tendances sociétales de ces dernières décennies ne peuvent qu’inquiéter ceux qui considèrent le vivre ensemble malgré tout comme fondateur de notre humanité », écrit J-P. Bénézech (p.109), qui mentionne 5 facteurs tendant à banaliser le suicide assisté ou l’euthanasie :

  • L’absence de transcendance globale. Depuis la théologie de la « mort de Dieu », la perte de la notion de transcendance affecte nos sociétés occidentales. « Ma vie m’appartient et j’en dispose librement ». L’athéisme d’aujourd’hui, la force de la raison et la « science triomphante sont autant d’éléments qui rendent l’humain sans complexe au regard de l’arrêt de sa propre vie ».

  • L’absence de transcendance humaine. Cette perte de transcendance affecte aussi l’homme qui est perçu comme une simple machine, un ensemble d’organes. Il « n’est que ça ». « La globalité de sa présence, de son existence, de son mystère ne pèsent pas lourd dans la balance. Pourtant, on ne sait rien de ce qui se vit dans des états comme le coma, l’agonie, et là encore, le doute pourrait être une porte d’entrée différente conduisant à un respect plus grand de ce réel inconnu. »

  • Le refus de la souffrance, de la douleur, des efforts. « Notre société ne supporte plus la souffrance, la douleur. » Les efforts pour atténuer la douleur ont pour effet une fragilisation qui rend encore plus insupportable le moindre vécu difficile. Dans une vie où seul le plaisir est valorisé, où les efforts ne sont acceptables que dans la pratique sportive, le sens ne peut être trouvé à ces moments plus difficiles.

  • L’autonomie du sujet. « C’est mon choix » devient le référentiel de tous les secteurs de la vie. « Ce fractionnement de la société en autant d’îlots divers qui décident (qui le croient...) de façon autonome, fragilise le ressenti final sur des questions majeures comme le mal, la maladie, la mort. »

  • L’individualisme. « Pour faire de l’humain, il faut des limites véritables... L’interdit anthropologique du meurtre fonde l’interdit euthanasique qui n’est, au final, qu’une application, non différente des autres, de ce principe » (J. Alric, J-P Bénézech, p. 110-112).

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2. Le mythe de la ''bonne mort''

Dans ce contexte s'est développé une tentative d'apprivoisement de la mort présentée comme « faisant partie de la vie » et pouvant être vécue sans stress, sans heurt. De nombreux ouvrages ont été publiés dans ce sens ces dernières années. En quatrième page du livre de Claudie Guimet, Dernières joies avant la mort1, on lit : « Ce livre s'attache à montrer qu'une fois la question de la douleur résolue à l'aide d'antalgiques, chacun peut vivre en toute quiétude ses derniers jours (…). Sans insister sur les questions d'ordre religieux, l'auteur a surtout voulu réconforter les humains que nous sommes tous, angoissés par la perspective de la mort. Il est temps de briser les tabous : la mort peut et doit être vaincue sereinement. » L'auteur est protestante.

Jean-Pierre BENEZECH, médecin du Département de soins palliatifs du CHU de Montpellier, a écrit en collaboration avec Jérôme ALRIC un livre intitulé : La mort ne s'affronte pas2. Ces deux praticiens présentent une approche plus respectueuse du caractère inévitablement ineffable et mystérieux de la mort. A partir de leur clinique quotidienne, ils montrent combien le mythe de la « bonne mort » peut s'avérer traumatique pour la vie psychique. De même, le réalisme de la révélation biblique ne permet pas de s'approprier cette idéologie inquiétante de la « bonne mort ». Il n'est pas rare de constater une ambivalence dans l'attitude de certaines personnes qui peuvent tout à la fois désirer partir et lutter pour vivre encore, ne serait-ce qu'un peu.

Cette ambivalence devrait-elle être regardée comme un manque de foi ? Pas nécessairement. Elle est aussi liée au fait que la mort n'est pas naturelle, contrairement à ce qui se dit. Elle est liée au fait que celui-là même qui a saisi la main de son Sauveur et a marché dans la foi n'a cependant pas encore tout saisi ni tout abandonné. En un sens, il est sauvé « à grand-peine » (1 Pi 4.18). Mais quand bien même il serait nourri de la grâce et affermi dans la foi, il peut arriver qu'un chrétien vive une agonie difficile, semblable aux douleurs de l'enfantement, comme une ultime lutte contre « le dernier ennemi » (1 Co 15.26). La vie même de Jésus nous montre que l'angoisse et la douleur ne sont pas réservées qu'aux méchants (Mt 26.38). La qualité du soutien spirituel et fraternel apporté revêtira, dans une telle circonstance, une très grande importance.

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3. Le droit d'éteindre la lumière ?

L'aumônier protestant de l'hôpital répond à l'ADMD (Midi Libre du 22 mai 2018).

L'expression 'éteindre la lumière' est belle. Elle fait presque envie. Elle fait penser au repos bien mérité après une longue journée de travail. Mais ici, de quel repos s'agit-il ? Et de quelle lumière ? (...)

Il est vrai qu'une souffrance intense peut ôter toute perspective d'avenir. Vouloir en finir, à certains moments, peut bien se comprendre ; à tout âge de la vie d'ailleurs, et pour des raisons infiniment variées... Mais celui qui souffre est-il à même d'évaluer si la vie est encore "digne d'être vécue", sans le regard des autres ? C'est quoi une vie digne d'être vécue ? Quels sont les critères invoqués ? Qui peut exclure que des joies insoupçonnées puissent survenir encore, après des moments de très grand inconfort ?

Les randonneurs en montagne se sont tous trouvés perplexes, un jour, devant une croisée de chemins. Lequel prendre ? Tel sentier paraît facile, ensoleillé, prometteur ; mais après le tournant il s'enfonce dans l'ombre. Tel autre sentier semble escarpé et sombre ; mais cent mètres après il s'élargit et offre une vue splendide. Qu'y a-t-il après le prochain tournant ? Nul ne le sait. Peut-être le meilleur. L'intervention de "la main des hommes" est utile et bénéfique dans un grand nombre de cas. Mais elle doit trouver sa limite à un certain moment, l'actualité nous le dit tous les jours. En l'occurrence, mieux vaut laisser la lumière s'éteindre toute seule. Charles NICOLAS (non publié)

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4. Attention au message envoyé aux personnes vulnérables

Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées

Une loi, ce n’est pas seulement un empilement des mesures techniques, c’est aussi un message collectif adressé par la société à chacun rappelle Jean-Christophe Combe. Mon devoir, c’est de porter la parole inquiète des personnes vulnérables qui se questionnent déjà souvent sur l’utilité de leur vie.

Pour le ministre, « l’aide active à mourir n’est pas seulement une question individuelle, médicale ou philosophique. Une loi sur « l’aide active à mourir » risquerait de nous faire basculer dans un autre rapport à la vulnérabilité. Nous devons éviter d’envoyer un « message implicite qui pourrait conduire les personnes vulnérables à l’auto-effacement.

Le véritable problème, ce n’est pas la souffrance et la mort. C’est la solitude face à la souffrance et à la mort : dès qu’un patient en fin de vie est remis en liens, est écouté, les demandes d’euthanasie disparaissent (cf. La mort ne sera jamais la solution. La solution c’est la relation). Il y a dans la société une forte aspiration à l’autonomie, mais il ne faut pas oublier que l’aspiration la plus profonde, c’est le lien aux autres.

La loi Claeys-Leonetti n’est pas encore pleinement appliquée. La mise en œuvre effective des lois qui garantissent à tous et partout un accès aux soins palliatifs est un préalable, notamment en raison du nombre de demandes de morts provoquées par défaut de soins palliatifs.

Grand âge et fin de vie sont en revanche deux sujets qui se rejoignent parce qu’ils déterminent le regard que la société porte sur les vulnérabilités et sur les moyens qu’elle se donne pour les accompagner (Le Figaro, 23 juin 2023).

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5. La Fontaine a consacré trois fables à la mort

Si la morale de La Mort et le Mourant pourrait être aisément reprise par les militants de l’ADMD : Je voudrais qu’à cet âge / On sortît de la vie ainsi que d’un banquet, / Remerciant son hôte, et qu’on fît son paquet, nul ne doute que tant La Mort et le Bûcheron que La Mort et le Malheureux les agaceraient fort :

Un Malheureux appelait tous les jours
La mort à son secours ;
Ô Mort, lui disait-il, que tu me sembles belle !
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle.
La mort crut en venant, l’obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je ! cria-t-il, ôtez-moi cet objet ;
Qu’il est hideux ! que sa rencontre
Me cause d’horreur et d’effroi !
N’approche pas, ô Mort ; ô Mort, retire-toi.

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Eléments de bibliographie :

- Vivre avec la mort, Lydia Jaeger (Edifac-Excelsis, 2013), avec une contribution de Ch. Nicolas.

- Article Deuil dans le Dictionnaire de Théologie pratique (Excelsis, édition 2021).

- Suicide assisté, de Vaughan ROBERTS. Editions CLE, 2021 (84 pages, 6,95 eu.).

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On trouvera mes écrits en tapant : le blog de charles nicolas, ou : http://pasteurchnicolas.canalblog.com

On trouvera mes séquences photos en tapant : oiseaux et compagnie 2 ou : http://oiseauxetcie2.canalblog.com

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Notes :

1Dernières joies avant la mort, Cerf, 2011. Claudie Guimet est aumônier en milieu carcéral et en soins palliatifs.

2 Editions 2011, Sauramps médical, 2011.

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10 avril 2024

La Réflexion éthique et la loi sur la fin de vie (1)

 

I. La réflexion éthique et la loi sur la fin de vie

 

1. Quelles références, quelles valeurs ?

 

Le propre d'une réflexion éthique, c'est qu'elle est délicate. Sinon, il suffit de se référer à la loi. C'est la raison pour laquelle, dans les comités de réflexion éthique qui se sont créés ces dernières années un peu partout, on parle d'élaboration éthique. Généralement, on fait intervenir un légiste qui rappelle la loi ; puis la parole circule et personne ne conclut. Un médecin confronté à une situation difficile pourra consulter le comité qui formulera un ou des avis, sans trancher.

 

Deux raisons expliquent l'émergence de ces questionnements :

- Une de ces raisons est technique : est-ce que parce qu'on peut techniquement faire quelque chose, on doit nécessairement le faire ? Cela vaut pour les naissances et pour la fin de vie particulièrement mais aussi dans de nombreuses autres circonstances1. On peut techniquement faire l'ablation de l'estomac, de l'intestin, d'un poumon et d'un rein à une personne de 95 ans. Pour autant, faut-il le faire ? On voit que ce n'est pas simple, car d'autres considérations devront entrer en ligne de compte et être évaluées2. Dans son livre Le Bluff technologique3, Jacques Ellul écrit que la technique aide jusqu'à un certain point ; après, elle complique !

- L'autre raison est liée à la sécularisation, c'est-à-dire la perte des références chrétiennes dans la vision du monde4. Or – Jacques Ellul a beaucoup réfléchi à cela dès les années 505 – notre époque est marquée à la fois par des progrès considérables en matière de technologie et par une progressive et assez radicale mise à l'écart des références chrétiennes6. D'où l'émergence de situations nouvelles, difficiles à gérer.

Par exemple, dans le comité de réflexion éthique de l'hôpital où j'ai exercé mon ministère, quelqu'un a posé un jour la question de la différence entre un être humain et un animal7. C'est le fruit de ce qu'on appelle la cancel culture, ou culture de l'effacement, qui entend mettre hors-jeu les références de pensée qui ont prévalu jusqu'à maintenant8. Il est assez évident que les choix éthiques ne seront alors pas comparables à ceux du croyant qui désire plaire à Dieu (1 Th 4.1)9.

 

2. Bref état des lieux de la réflexion en France

 

Pour le moment, en France, deux pratiques sont interdites : l'euthanasie et le suicide assisté. Mais les sondages disent que 70 % des personnes interrogées sont favorables à une évolution de la loi. (Comment pose-t-on la question ?)

La loi n'interdit pas tout, cependant. Depuis 1999, mourir sans souffrir est un droit10. Dès lors, on a vu un développement assez important des Soins palliatifs11. Cependant, 1/3 seulement des patients qui en auraient besoin y ont accès.

Depuis la loi Léonetti en 2005, tout patient est invité à remplir un formulaire de directives anticipées12 et à désigner une personne de confiance qui sera le vis-à-vis de l'équipe soignante si le patient n'est plus en mesure de s'exprimer. Tout patient peut, à tout moment, signer une décharge pour refuser un traitement, une intervention. Enfin, depuis la loi Claeys-Léonetti (en 2016), tout patient peut, quelques jours avant la mort annoncée, demander une sédation profonde et continue (qui ressemble à une sorte de coma).

 

Quatre questions demeurent cependant, aux yeux des partisans du 'suicide assisté' et des membres de l'ADMD13 :

- chacun peut interpréter ces lois un peu comme il veut ;

- certaines situations échappent au soulagement qu'apporte la sédation profonde ;

- une certaine souffrance existera encore pendant ces quelques jours (difficile à évaluer) 

- le suicide assisté, bien qu'interdit, est cependant pratiqué par certaines équipes (il y a donc inégalité) et ceux qui en ont les moyens peuvent aller en Belgique ou en Suisse.

Le 8 janvier, lors de ses vœux aux responsables des cultes, le président Macron a annoncé non pas une mais deux lois distinctes. Comment, en effet, dans une même loi, plaider pour le développement des Soins palliatifs et pour la légalisation du suicide assisté ? Il y aura donc sans doute deux lois distinctes, ce qu'ont demandé un certain nombre de députés :

- les soins palliatifs seront développés : ils prennent en charge la souffrance physique, psychique, sociale et spirituelle (dans un sens non religieux).

- l'aide à mourir sera proposée aux personnes majeures dont le pronostic vital est engagé à “moyen terme” (c'était “à court terme” dans la loi Claeys-Léonetti), ayant des souffrances physiques “insupportables” (autre terme difficile à évaluer) et une volonté “libre et éclairée” au moment de la demande. La prescription nécessitera une “décision médicale collégiale”. Si la personne ne peut pas s'exprimer, l'intervention d'un tiers sera possible.

 

3. Une vraie solution ?

 

De l'avis de beaucoup, l'aide à mourir va créer autant (ou plus ?) de situations délicates qu'elle va en solutionner. A l'hôpital, une personne peut tout à fait désirer mourir à un moment et désirer vivre un peu plus tard. On appelle cela l'ambivalence du désir. J'ai accompagné une personne en fin de vie, consciente, qui disait le matin au médecin qu'elle désirait en finir et à son épouse l'après-midi qu'elle désirait vivre encore. Elle a finalement 'bénéficié' d'une sédation profonde irréversible. Mais... comment sera vécu l'après, par ses proches ?

La Ministre Agnès Firmin-Le Bodo expliquait que “l'accès à l'aide à mourir est le continuum d'un accompagnement curatif et palliatif jusqu'à la mort”. C'est là que se situe le désaccord. Le site Généthique (février 2023) propose un article intitulé : Donner la mort peut-il être considéré comme un soin ? On y lit que 800.000 soignants s'opposent à l'euthanasie. Mais peu avant, Le Monde publiait un article dans lequel 500 professionnels de Santé se déclarent favorables à l'euthanasie (500 dont 320 sont aujourd'hui à la retraite...). Comme pour d'autres sujets, on peut avoir l'impression qu'une minorité de militants entendent peser davantage qu'une majorité de personnes. Je pense à un article de Claire Fourcade, présidente de la SFAP14 : Je suis médecin, la mort n'est pas mon métier. La main qui soigne ne peut pas être la main qui tue.

Il est à noter que les responsables religieux (catholiques, protestants, musulmans...) sont (presque) unanimement opposés à l'euthanasie et au suicidé assisté. Avec les Soins palliatifs, ils constatent que quand une personne est correctement accompagnée et soignée, les demandes d'euthanasie disparaissent presque totalement.

Un homme de 65 ans apprend qu'il est atteint d'une maladie incurable et dégénérative. Au bout de quelques jours, il confie à une infirmière son désir d'une euthanasie : Je ne peux accepter de devenir dépendant, dit-il. Réponse de l'infirmière : Nous sommes tous dépendants ! Réponse inspirée.

 

La pensée progressiste, cependant, ne l'entend pas de cette oreille. A l'Assemblée nationale (avril 2021), le député Olivier Falorni (PRG) défend son projet de loi pour l'euthanasie en parlant de conquérir l'ultime liberté. Jean-Louis Touraine (PS) renchérit : De la même façon que les femmes ont décidé de poursuivre ou non leur grossesse, les malades doivent pouvoir mettre un terme ou non à leur agonie ». Jean-Luc Mélenchon (LFI) conclura : L’être humain est auteur de son histoire. Chaque pas qui rend une personne plus maîtresse d’elle-même la fait avancer en humanité, même si c’est cruel d’éteindre la lumière. La liberté c’est se posséder soi-même, c’est être créateur de soi.

Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, s’exprime sur le projet de loi sur la fin de vie annoncé par le Président de la République (juin 2023) : Un sujet profondément intime mais avec des conséquences sociétales tout aussi profondes. Il faut être très vigilant au signal que nous envoyons aux personnes qui se sentent fragiles ou désespérées et à leurs familles15.

Un des risques est – en outrepassant la limite de nos droits et de nos devoirs – d'ajouter des fardeaux supplémentaires en voulant soulager. Certains ont l'impression que ce n'est pas le souci que l'on a pour le patient qui prime, mais plutôt le confort des soignants, ou de la famille... Il peut arriver que chez le patient, la demande soit motivée par le désir de soulager ses proches.

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Une phrase, pour conclure ces notes de manière lapidaire, avec une formule chère aux équipes de Soins palliatifs : Ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie : soulager, mais pas tuer

(A suivre)

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Notes :

1Par exemple acheter 100 kg de chocolat parce que j'en ai les moyens, téléphoner 12 h. par jour parce que j'ai un forfait illimité ou rouler à 180 km/h parce que j'ai une voiture puissante...

2Par exemple, en Angleterre on a pris en compte le coût d'une intervention pour les patients de plus de 75 ans.

3J'ai réalisé un abrégé en 6 pages de ce livre de 750 pages dont je recommande la lecture.

4Voir en annexe 1, la question du désir et du refus de la mort.

Les annexes seront publiés dans la 2ème partie

5J'ai réalisé un abrégé en 3 pages du livre de Jacques Ellul, Les nouveaux possédés (348 pages) sur ce sujet.

6Voir l'annexe 2 : Le mythe de la bonne mort.

7On dit 'les animaux non humains', aujourd'hui, pour atténuer la différence.

8Dans son livre La Religion woke, (Grasset, 2022). Jean-François Braunstein mentionne Donna Haraway, professeur d'Université et militante de la pensée woke aux Etats-Unis : son aspiration est que l'humanité devienne du compost. Figurez-vous qu'elle dit cela avec un grand sourire. J'ai un abrégé de ce livre également.

9On parle de la baisse de natalité aujourd'hui. On vient d'interroger une jeune femme chinoise à ce sujet : Je ne veux pas d'enfant ; je n'ai pas d'énergie pour cela. Je veux profiter de la vie, c'est tout (France-Inter, 13 h., ce 17 janv. 2024).

10Un jour il y aura peut-être un droit opposable à vivre sans souffrir...

11On doit ce concept à une infirmière anglaise, chrétienne, Cicely Saunders (1918-2005).

13Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité. Voir en annexe 3 une réaction à un article de l'ADMD.

14Société Française d'Accompagnement et de soins Palliatifs.

15Voir l'annexe 4. Attention aux personnes vulnérables.

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8 avril 2024

L'espérance chrétienne et la fin de vie (2)

 

II. L'espérance chrétienne face à la fin de vie (suite)

 

Après ces réflexions, je voudrais tenter de formuler quelques remarques, en essayant d'être simple sans être simpliste. J'en ai retenu 3. Nous aurons un échange, ensuite.

 

1. L'inévitable solitude. Telle personne malade est à demi allongée sur son lit. Très affaiblie, il lui reste peu de jours à vivre. Sa foi s’est affermie dans une intimité de plus en plus grande avec Dieu. C’est donc possible. Elle confie la difficulté qu’ont ses proches à la comprendre. Elle les aime toujours, mais ses sujets de préoccupation n’ont plus grand chose à voir avec les leurs. Ils parlent de manger, de prendre des forces, de rentrer à la maison ; mais elle a dépassé cela depuis longtemps. Elle n’en a plus envie. Sa perspective est tout autre. En réalité, pendant que nous traînions sur le chemin, accaparés par mille préoccupations, elle a avancé, avancé, et elle ne sera bientôt plus qu’un point à l’horizon, presque invisible à nos yeux. Ainsi, elle est heureuse des visites qu’elle reçoit, et elle les redoute en même temps. Elle a fait trop de chemin, et eux trop peu. Ils ne parlent plus la même langue.

Certaines familles, certains amis, certaines cultures, s’obligent à une présence permanente auprès d’une personne en fin de vie ou en deuil. Quand cela n’est pas à la demande de la personne concernée, on peut parfois parler d’une forme d'acharnement, de maltraitance... Être ou devenir adulte, c’est apprendre à être seul à certains moments. Jésus l’a vécu, qui a passé quarante jours dans le désert, qui s’est souvent retiré à l’écart. Dans la parabole, le fils prodigue est enfin entré en lui-même quand il a été seul. Souvent le décès d’une personne survient alors qu’elle est seule. Ce n’est pas par dépit, c’est par choix, par discrétion, par besoin d’intimité. Il faut l’accepter.

Chaque être humain est invité à apprendre une inévitable solitude ; même un enfant doit l'apprendre, solitude ne signifiant pas forcément abandon. Même si une personne est très entourée, c’est elle qui meurt, pas les autres. Peut-on dire : Je te comprends à une personne qui souffre ? Mieux vaudrait dire : Je vois, j'entends ce que tu dis.

 

2. Donner à notre foi le cadre qui lui convient, celui d'une alliance. Certes, il y a la relation personnelle avec Dieu, l'intimité avec Dieu, comme on dit. Je ne nie pas cela. Mais j'ai entendu tant de personnes très affaiblies sur des lits d'hôpitaux dire : Je n'ai plus la force de prier...

Si le cadre de la révélation biblique et du salut n'est pas une alliance, il ne reste qu'une aventure hasardeuse, une forme de concubinage spirituel. Sans alliance, la foi n'est plus possible1.

Le cadre qui convient à la foi est celui d'une alliance, avec des écrits qui sont des testaments d'alliance, avec des signes tangibles : l'arc-en-ciel, le baptême, le repas du Seigneur. Cela signifie qu'il y a un fondement objectif autre que le ressenti, et qui se situe sur un autre plan que les événements qui peuvent survenir, quels qu'ils soient. On pense aux martyrs dont parle la lettre aux Hébreux : Tous ceux-là (…) moururent par l'épée, allèrent çà et là vêtus de peaux de brebis ou de chèvres, dépouillés de tout, persécutés, maltraités (…). Ils n'ont pas obtenu ce qui leur était promis, Dieu ayant en vue quelque chose de meilleur pour nous (11.37-39)

Cela introduit la dimension de l'Espérance, de l'aptitude à souffrir et de la combativité2. Quand une femme oublierait son enfant, moi je ne t'oublierai pas, dit le Seigneur (Es 49.15). Si une guerre s'élevait contre moi, je serai malgré cela plein de confiance (Ps 27.3). On pourrait bien sûr en citer beaucoup d'autres. Je pense à cet adage de la Réforme : Qu'importe si tu me piles, Seigneur, pourvu que ce soit toi !

Tout cela diffère grandement de l'hyper-subjectivité et de la recherche de bien-être qui sont promues aujourd'hui, fondées sur l'expérience ou le ressenti3.

 

3. Ne pas s'inquiéter à l'avance, mais apprendre. Ne pas s'inquiéter du lendemain, c'est vraiment ce que permet le cadre de l'alliance. Votre Père sait. Ne pas s'inquiéter à l'avance de l'épreuve qui peut survenir, du jour de notre mort, ni même de la date du retour du Seigneur, c'est la foi dans la réalité du Royaume de Dieu déjà présent et encore attendu. La grâce sera suffisante jour après jour, pas à l'avance.

Apprendre, c'est le programme des disciples. L'insensé est celui qui n'apprend pas. Plusieurs fois, l'apôtre Paul écrit : J'ai appris, et il ne s'agissait pas de choses faciles. Même de Jésus il est dit qu'il a appris l'obéissance par les choses qu'il a souffertes (Hé 5.8). Quelqu'un a dit un jour : Il y a deux sortes de médecins : ceux qui n'ont jamais été malades et ceux qui l'ont été. Cela signifie que les plus importantes leçons ne s'apprennent pas dans les livres. Je pense à cette parole de Nelson Mandela : Je ne perds jamais : soit je gagne, soit j'apprends.

Il y a des personnes qui, quelques jours avant leur mort, connaîtront peut-être une joie qu'ils n'ont pas connue leur vie durant, grâce à ce qu'ils auront appris pendant cette ultime étape4. Est-ce qu'une sédation trop précoce ne pourrait pas empêcher cela ?

L’expérience permet d’affirmer que dans un grand nombre de cas, celui qui va mourir a un ou plusieurs rendez-vous importants à honorer avant de quitter cette vie : avec lui-même, avec un proche, avec Dieu5. Il semble que Dieu 'frappe à la porte' d’une manière toute particulière pendant ce temps-là. C’est une grâce admirable qui peut susciter beaucoup de joie. Mais c’est aussi un travail fastidieux qui ne va pas sans rappeler les douleurs de l’enfantement. Certains secrets, certains péchés, certaines demandes de pardon ou certains pardons à accorder sont durs à formuler. - Pasteur, j’ai quelque chose à dire que je n’ai jamais dit à personne. Je ne sais pas si je vais y arriver...

Dire cela ne contredit pas l'importance de ce qu'on peut appeler la pastorale préventive : réfléchir à l'avance, sans en porter le fardeau encore. Réfléchir à la place de la sobriété (1 Pi 4.7-8), du renoncement, de l'abstinence, du silence, de la solitude, de la prière, sans toujours reporter à plus tard6. Cela, si on y réfléchit, s'apparente à des deuils successifs, progressifs, nourris par l'idée que rien n'est définitif sur cette terre... hormis l'alliance que Dieu nous offre. L'accepter, c'est la maturité de la foi.

(A suivre)

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Notes : 

1. Je suis frappé d'entendre ce genre de témoignage en ce moment (de la part d'incroyants, il est vrai, mais c'est une philosophie qui peut toucher certains chrétiens). Je pense au dernier livre de Michel Onfray, Théorie de Jésus, biographie d'une idée (Bouquins, nov.23). Il pense que l'Evangile, en un sens, est une nécessité, tout en niant que Jésus ait existé. Jésus n'a pas existé, mais ça marche, ça fait du bien ! Ainsi, chacun peut choisir ce qui lui convient, et accepter sans problème que d'autres fassent des choix différents : c'est égal, il suffit d'être sincère.

2. Voir les annexes 2 et 3 : L'Evangile sans larmes et Les bagnards ne se suicident pas.

(Les annexes seront publiées dans la troisième partie)

3. Voir en annexe 4 quelques remarques sur la pratique actuelle de la lectio divina.

4. Voir l'annexe 5 sur le processus de deuil.

5. Voir en annexe 6, des citations du livre d'Alexandre Soljenitsyne, le Pavillon des Cancéreux.

6. On pense à Lot à Sodome, sauvé in extremis (Gn 19), à l'homme qui avait de grands biens (Lc 12.16ss), etc.

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